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La magie du tirage photo racontée par Guillaume Geneste

Il est l’un des derniers ambassadeurs du tirage argentique à Paris. Guillaume Geneste nous a ouvert les portes de son labo photo à l’occasion de la sortie de son livre Le Tirage à mains nues. Lettre d’amour au métier de tireur et à la photographie.


Photo réalisée par Guillaume Geneste juste avant la mise au point, d’après un négatif de Bernard Dufour, 2019. © Michaël Naulin

Derrière la porte anonyme d’une rue du XIe arrondissement parisien, une cour étroite conduit à un petit atelier. Une ancienne entreprise de métallurgie devenue laboratoire photo. Depuis 25 ans, c’est ici que Guillaume Geneste exerce. La soixantaine, les lunettes ancrées sur le nez, une chemise à manche courte, le fondateur du laboratoire La Chambre Noire est l’un des derniers tireurs argentique en France. 

En ce lundi matin, les cuves sont vides. L’horloge du labo affiche 10h29. Le calme n’est qu’apparence. Depuis la fin du confinement, les commandes s’enchaînent. Le compositeur et passionné de photo Pascal Dusapin vient de passer chercher des tirages, un couple de collectionneurs doit venir dans la matinée… « Ça n’arrête pas ! », se réjouit Guillaume Geneste. Dernier des Mohicans du tirage argentique, les plus grands sont passés sous ses agrandisseurs. Tireur de Jacques Henri Lartigue, Gilbert Garcin, Denis Roche, Sabine Weiss, Bernard Plossu, Anne-Lise Broyer et tant d’autres, il publie à la rentrée de septembre Le Tirage à mains nues, un livre sur sa vision du métier, ses anecdotes, ses rencontres. Comme une envie de rembobiner la pellicule. 


New York City, 1976 © Sid Kaplan

Tireur né 

Installé depuis 1995 dans cet atelier, Guillaume Geneste débute sa carrière dans les années 80. « Je n’ai jamais voulu être photographe, j’ai toujours voulu être tireur ! », aime-t-il rappeler. Le jeune homme de 19 ans rate son bac mais est déjà fasciné par la magie de la chambre noire. A 16 ans, il avait aménagé un laboratoire dans la cave du pavillon familial. « Je voulais comprendre comment se construisait un tirage. Comment une photo pouvait tenir sur du papier », raconte-t-il. Après une école de photographie parisienne, l’EFET (L’Ecole française d’enseignement technique), Guillaume Geneste débute sa carrière par le tirage industriel, derrière une machine Kis, avec pour slogan « développement et tirage en une heure chrono ». Pas vraiment le rêve. 

Puis, c’est la rencontre avec Marc Bruhat et les débuts dans un vrai laboratoire professionnel noir et blanc : Sillages. « J’étais fasciné par les procédés anciens du XIXe siècle. Ils peuvent se rapprocher de la cuisine, du monde du bidouillage. Mais Marc m’a vite fait comprendre qu’il fallait choisir entre faire tireur ou de la cuisine », plaisante-t-il. Le tireur trace son chemin, avance au gré des rencontres. Elles forgent sa vision du métier, lui ouvre de nouvelles portes. Comme celles avec l’écrivain et poète Denis Roche et le photographe Bernard Plossu, avec qui il participe à l’aventure du labo Contrejour, rue Daguerre, au début des années 90, avant d’ouvrir sa propre entreprise.


Colette, « Dans la chambre noire », Laboratoire Contrejour, Paris, 1993 © Guillaume Geneste

« Mon ami, vous tirez trop chic » 

Le tirage est une philosophie. Toute une poésie aussi. Dans les gestes, la sensibilité, l’observation, l’écoute… Univers mystérieux, où d’un subtil jeu de mains, d’une danse chorégraphiée, le tireur joue avec la lumière, éclaire les zones d’ombres, donne de la densité. « Ma voisine, qui est banquière, ne comprend toujours pas ce que je fais, plaisante Guillaume Geneste. Il faudrait que je l’emmène un jour dans le laboratoire, que je lui pose la main sur un photogramme et elle comprendrait. C’est difficile d’en parler sans voir. » 

Le tirage est un maquillage. Mais ne dites pas à un tireur qu’il est artiste. Grand Dieu, non. Guillaume Geneste s’y refuse. Sa profession est un acte modeste. Pas d’interprétation, seulement de la traduction. « Nous ne sommes pas des créateurs. Nous offrons un accompagnement dans la création. Le cœur de notre métier se trouve dans les rapports à l’autre, dans le lien avec les photographes. Nous les accompagnons, nous sommes là pour retransmettre leurs émotions », précise-t-il. 


Salomé, 2015 © Gabrielle Duplantier

Tout commence par un dialogue. Un échange à trois, entre le photographe, son travail et le tireur. La complicité prend du temps, s’entretient comme un couple. Il faut définir une couleur commune, un langage. « C’est fou quand on y pense. Le photographe vient avec un négatif, passe la porte, et il veut en ressortir avec une feuille de papier où les gens ressentent exactement ce que lui a voulu transmettre par la photo », s’étonne encore Geneste. La discussion se précise autour des premiers tirages. Les mots prennent leur sens. 

Traduire cette relation intime et fusionnelle, comprendre le désir de plusieurs photographes aux sensibilités différentes. Il y a tout ça dans Le Tirage à mains nues. Pendant deux ans, Guillaume Geneste a rencontré ses idoles. Un rêve de gosse : Ralph Gibson, Duane Michals, Sid Kaplan, Arnaud Claass. Il y a aussi Gabrielle Duplantier, Valérie Belin, Jo Terrien… À chaque entretien se noue une réflexion sur la photographie, le métier de tireur, son essence. Le livre tient parfois de l’essai philosophique, puis glisse vers le journal intime. La rencontre avec Cartier- Bresson à 24 ans, Agnès Varda qui lui glisse « mon ami, vous tirez trop chic ». Ou son attachement depuis 25 ans au tirage de l’œuvre de Jacques Henri Lartigue : « Sa vision photographique me fascine parce qu’elle est libre, claire, il photographie l’instantané. Il nous rappelle que la photographie a sans doute plus à voir avec la vie qu’avec la mort », clame-t-il. 


Guillaume Fleureau, entouré des colosses Epson, est chargé du tirage numérique © Michaël Naulin

Le chamboule-tout numérique 

Dans son livre, Guillaume Geneste célèbre l’âge d’or de l’argentique, mais parle aussi de l’avenir. Certains photographes rencontrés ont abandonné la pellicule, faute de temps. Dans l’atelier parisien, les bacs et les agrandisseurs côtoient désormais tout un univers numérique. « Ma chance incroyable, c’est d’avoir eu 40 ans dans les années 2000. Je peux faire de l’argentique et du numérique. Le tireur de demain ne sera pas passé comme moi par un laboratoire à tirer des milliers et milliers de négatifs », confie Guillaume Geneste. Un autre Guillaume travaille avec lui dans l’atelier, Guillaume Fleureau s’occupe de la partie numérique. « Il est tout autant tireur que moi. Simplement, nous n’utilisons pas les mêmes outils », explique le représentant de l’argentique. 

Le numérique, bourreau de l’argentique ? Si Guillaume Geneste reconnaît le potentiel infini des logiciels, rien ne remplacera selon lui la qualité et la grande précision obtenue en chambre noire. « Je n’arrive pas à la cheville de ce que réalisent les retoucheurs sur Photoshop mais ils ne savent pas tirer. Eux abordent la photographie comme un ensemble de pixels. De mon côté, ce sont des équilibres avec des masses. Quand je maquille une image à l’agrandisseur et que j’ai une partie trop claire, je fais un dégradé avec les mains », mime-t-il avec un geste souple de ses bras. 


 « Ce matin, pas de tirage ! » © Michaël Naulin

« Avec le numérique, la gamme de gris est nettement moins riche. Il n’y a pas autant de finesse et on perd donc une partie du propos de la photo », détaille le tireur. Mais avouons-le, l’ère du pixel a tout bouleversé. Y compris le regard sur le métier de tireur : « On nous compare maintenant davantage à des techniciens, alors que notre travail est toujours le même », se désole un peu Guillaume Geneste. 

Qu’importe. Fidèle au noir et blanc, il continuera. Démarche amoureuse d’un homme qui a photographié sa femme et ses enfants au rythme de la vie. Des autoportraits noir et blanc, publié sous forme d’albums de famille : « Mon rapport à la photo est uniquement amoureux. Je garde une trace des moments que je vis avec eux. Pour nous faire croire qu’on peut garder un peu de temps. » Guillaume Geneste espère continuer cet album dans 15 ou 20 ans, lorsque viendra l’heure de célébrer les mariages, de devenir grand-père… Jouer encore un petit peu avec le temps, poursuivre jusqu’au bout l’acte amoureux d’un passeur d’émotions. 


La cour garde encore les traces de son passé métallurgique.  © Michaël Naulin

Villa Giulia, Rome, 1980 © Bernard Plossu

Cette photo collée sur une silhouette en bois rappelle les montages rêveurs du regretté Gilbert Garcin pour qui Guillaume Geneste a travaillé © Michaël Naulin

East to East, Lettonie, 2002 © Klavdij Sluban

Bouquet de la photographe Valérie Belin © Michaël Naulin

 Guillaume Geneste après avoir reçu la visite du compositeur Pascal Dusapin venu récupérer des tirages © Michaël Naulin

Le Tirage à mains nues, Guillaume Geneste, Sortie août/septembre 2020, 254 pages, 25€. 

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