Charlie Phillips se décrit lui-même comme un « enfant de la Windrush Generation », terme désignant la population issue de l’immigration caribéenne en Europe. Il arrive de Jamaïque à Londres à la fin des années 1950, à l’âge de 11 ans, à l’époque des émeutes raciales. Il passe son adolescence dans un taudis à Notting Hill – considéré à l’époque comme un ghetto – avec peu de biens, partageant une seule chambre exiguë avec ses parents.
La vie de Charlie Phillips bascule après qu’un GI noir américain cherchant à s’amuser en ville lui laisse un appareil photo Kodak Retina lors d’une fête dans son quartier (il l’échange avec son père contre une course de taxi). À l’âge de 14 ans, il apprend à développer lui-même une pellicule 35 mm, transformant la nuit sa salle de bains en chambre noire, lorsque tout le monde dort. Il feuillette alors avec émerveillement un exemplaire du magazine américain Saturday Evening Post, que le soldat a laissé derrière lui. En couverture trône le tableau The Runaway de l’illustrateur Norman Rockwell, sa porte d’entrée vers un autre monde.
Au début, il prend des photos de ses amis et les vend à l’école, puis commence à documenter le monde qui l’entoure. Celui qui émerge: celui des musiciens, de la vie de la rue, des fêtes, des familles et des garçons en costume de zoot, popularisé par le jazz, qui arrivent tout droit des docks de Tilbury. Et celui qui disparaît: il s’immisce dans le monde invisible de la culture funéraire afro-caribéenne (un projet de plusieurs décennies intitulé How Great Thou Art qui documente les changements de mode autant que les changements d’attitude) ou photographie encore les derniers jours des rues démolies pour la construction d’une autoroute à l’Ouest de Londres. La nature détendue de ses sujets témoigne du style spontané et de la personnalité de Charlie Phillips. Ses images, elles, racontent une histoire plus importante, celle d’un Londres et d’une Grande-Bretagne en pleine mutation.
Charlie Phillips qualifiera les personnes qu’il a photographiées à Notting Hill de « minorité silencieuse ». Une couche de la société dont la vie n’aurait pas été documentée si le photographe n’avait pas vécu parmi eux, prenant des photos sans qu’ils s’en aperçoivent. « J’étais un photographe de base », explique Phillips. « J’étais un Noir ordinaire du ghetto, un peu radical, faisant partie de la culture alternative de l’époque. Je m’identifiais à Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Che Guevara, à la Beat Generation. »
A l’époque, le photographe voit la vie comme une aventure. Il étrenne son appareil photo à Paris en mai 1968, pour documenter le soulèvement des étudiants et ce qui deviendra une révolution sociale et culturelle. Il fait aussi de l’auto-stop en Italie, traîne sur les plateaux de tournage de westerns spaghetti – une commande pour Vogue Italie -, suit Muhammad Ali pour Stern et se lie d’amitié avec Jimi Hendrix. De retour au Royaume-Uni, l’establishment culturel de l’époque refuse de croire qu’un Noir autodidacte ait pu atteindre de tels sommets. Il se fait ainsi oublier et se trouve une autre vie, dans la marine marchande durant un certain temps, puis à la tête d’un restaurant dans le sud de Londres.
Ce n’est récemment que Charlie Phillips a obtenu la reconnaissance de son travail photographique, notamment dans la presse. Les portes qui s’étaient fermées au début des années 1970 se rouvrant un demi-siècle plus tard. Le magazine new-yorkais Time Out en parle comme du « plus grand photographe dont vous n’avez jamais entendu parler ». L’historien Simon Schama, qui sélectionne un portrait d’un couple de Notting Hill de 1967 pour figurer dans son livre et sa série télévisée The Face Of Britain, qualifie Charlie Phillips de « l’un des plus grands photo-portraitistes britanniques… un poète visuel, chroniqueur, champion, témoin d’un monde révolu ». Aujourd’hui, l’œuvre de Charlie Phillips reste largement inédite – son recueil Notting Hill In The Sixties paru en 1991, ayant quelque peu disparu de la circulation.
Ce nouveau livre publié indépendamment, intitulé Charlie Phillips – A Grassroots Legacy et disponible à l’achat sur Kickstarter, s’inscrit dans la lignée de l’esprit révolutionnaire de Charlie Phillips, tout en présentant enfin les points forts de ses archives, avec plus de 100 images et une magnifique impression.
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