Une source d’énergie, disait Régis Durand (1941-2022) à propos de Valérie Belin, que le critique d’art a exposée très tôt, au Printemps de Cahors en 1995, et qu’il a longtemps accompagnée, épaté par son côté intrépide. Ne pas croire qu’il s’agissait de sauter les haies, d’affronter quelques vampires ou de méditer dans le désert, ce qui lui plaisait, c’était ses multiples façons de jouer avec la photographie, et de la questionner, non pour en venir à bout, mais pour rebondir. Un peu plus haut, un peu plus loin. Un effet trampoline si l’on veut, qui a permis à Valérie Belin d’imaginer des séries, et parfois d’en prolonger certaines, au total, une cinquantaine, de la première, Cristal I en 1993 à la toute dernière Heroes en 2013.
Il est possible, et le livre édité par l’atelier EXB autant que l’exposition au MUba, à Tourcoing sont d’une grande utilité, de ne pas être sensible à l’ensemble de ce travail. Valérie Belin ne tient pas à conquérir des spectateurs, pas question de répondre aux désirs des uns et des autres, elle avance en solitaire. C’est une aventurière. Une touche à tout. Une originale qui aime la contrefaçon. Et « qui a peur du vide », selon ses propres mots. D’où son impérieuse nécessité à enchaîner les séries, une dynamique méticuleusement construite, d’abord autour de l’objet, puis de la figure humaine, tout en s’autorisant, de temps à autre, à dépasser les frontières entre natures mortes et matières plus ou moins vivantes.
Bien plus qu’à une confrontation avec le médium, dont elle ne pourrait espérer que dissipation, Valérie Belin étudie ses possibilités, ne lâchant jamais son sujet jusqu’à pleine satisfaction. Ce qui ne l’empêche pas d’être elle-même troublée par ses sujets, ainsi les sosies de Michael Jackson (2003), l’un de ses essais les plus fameux, un face à face fructueux.
Elle est à un mètre de son modèle, elle voit le faux nez en trompette, la perruque, les yeux charbonneux, aucune duperie, ce n’est pas le vrai Jackson, est-ce pour autant un faux Jackson ? Que veut-elle ? Brouiller l’iconographie de Michael Jackson ? « Ce qui m’intéressait, ce n’était pas d’avoir le sosie parfait, qui aurait mimé les transformations chirurgicales de son modèle. Je voulais plutôt des personnages qui se transformaient par des artifices, lesquels pouvaient se lire de visu sur la photographie. »
Depuis ses débuts, Valérie Belin enrichit le dialogue avec cet art de la reproduction qu’est la photographie, de l’illusion à la séduction. Elle immobilise des mannequins en chair et en os qui ressemblent à des mannequins de vitrine, puis expose des mannequins de vitrine qui ont l’air d’être en apnée. S’attache à une danseuse du Lido qui voltige en cinq tenues de gala sans bouger un cil. Dévoile des magiciens sur le vif, des héroïnes cubistes, des moteurs organiques, des intérieurs de collectionneurs solarisés, comme après un éblouissement.
Derrière chaque série, il y a aussi le plaisir de l’outil numérique, qui lui offre tout à la fois la minutie, l’aisance et le flirt avec un pop art customisé et résolument jubilatoire.
Plus d’informations sur le travail Valérie Belin sur son site.
Valérie Belin, L’incertaine beauté du monde, Atelier EXB en coédition avec le MUba Eugène Leroy, 192 pp., 39 euros. Edition bilingue. Textes de Mélanie Lerat et Sébastien Gokalp.
Rétrospective au MUba Eugène Leroy, à Tourcoing, jusqu’au 27 août.
A propos de l’exposition de Valérie Belin à Tourcoing:
Dans la grande galerie surplombée d’une verrière Art Déco, l’effet opère immédiatement. Les quelque 500 m2 au sol et la grande hauteur sous plafond transforment la visite en expérience. Vus du centre de la pièce, les portraits et les natures mortes de Valérie Belin cernent le spectateur, incitant à la contemplation. Passé le saisissement, la visite peut commencer, là où le regard est attiré car le parcours n’est pas chronologique. La photographe s’est personnellement impliquée dans la sélection et l’accrochage de cette rétrospective concentrée. Les grands, voire très grands tirages, présentés en ligne ou regroupés sur deux rangs, sont parfaitement adaptés aux dimensions monumentales de ce lieu d’exposition atypique.
La densité impressionne, ne laissant aucun répit au spectateur. Le cheminement réunit les images issues de trente séries réalisées des années 1990 à aujourd’hui et s’achève avec une vidéo de 30 minutes intitulée I could never be a danser, dans l’intimité d’un salon voisin. Ce film réalisé à partir d’une performance de 3 heures donnée au Centre Pompidou en 2013 met en scène six sosies de Michael Jackson et fait écho aux thèmes récurrents du travail de Valérie Belin. Entre la série « Robes » réalisée au musée de la Dentelle de Calais en 1996 et « Heroes », ses dernières héroïnes conçues avec une artiste-maquilleuse en 2022, Valérie Belin a parcouru un long chemin. Mais elle n’a jamais perdu son fil : représenter « L’incertaine beauté du monde », ou « L’incertitude du monde » comme l’écrit Sébastien Gokalp dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition.