Comment êtes-vous venu à la photographie?
J’en ai fait quand j’étais jeune. De l’argentique puisque que j’appartiens à cette génération. C’est quelque chose qui m’habitait. Lorsque j’étais adolescent, au début des années 1980, j’ai même pensé à un moment devenir photographe. J’ai surtout réalisé des photographies de danse. Ma soeur était dans une compagnie de danse contemporaine.
J’avais aussi 2 photographes dans ma famille. L’un de mes oncles était reporter pour le journal La Charente Libre, à Angoulême. Parfois, je l’accompagnais et quand j’avais fait une bonne photo, j’avais droit à ma publication dans le journal. Je me souviens du labo ultra équipé de la rédaction. J’avais un autre oncle qui faisait plutôt des photos de paysage, et avec qui j’ai fait pas mal de trips sur des îles ou en montagne. Il travaillait pour Double Page, une revue photographique qui sortait autrefois.
C’était avant d’étudier l’histoire de l’art, puis de travailler dans l’art contemporain, avec une photo, je dirais, un peu plus conceptuelle, intellectuelle, moins instinctive, moins émotionnelle… Pour finalement revenir aux sources.
Vous êtes de Charente?
Non, pas du tout. Je suis né en Allemagne, en Bavière du Nord, mais j’ai grandi en France à dès l’âge de 3 ans, pas loin de Chantilly, à Senlis.
Qu’est-ce qui vous touche le plus dans la photographie?
Tout d’abord, je suis assez touché par l’idée du récit. Donc pas forcément une photo seule mais plusieurs. Je me souviens de la première fois où j’ai lu une interview de Paul Graham, qui racontait que dès qu’on met deux photos ensemble, on raconte quelque chose. Cela illustre bien sa pratique. Pouvoir raconter une histoire est quelque chose qui m’a toujours fasciné. C’est ce que font d’ailleurs maintenant beaucoup de photographes documentaires. Ils se sont dirigés vers la narration. Alors qu’avant, le cliché devait raconter toute l’histoire.
Quels sont vos goûts en photographie?
Je suis assez éclectique. J’aime autant Sabine Weiss que Smith, Paul Graham, ou Josef Koudelka. En fait, ce que j’aime, c’est ressentir une expérience, que le photographe me transmette quelque chose. Mais j’aime aussi ce qui est expérimental, une photo qui n’est pas forcément un produit répondant aux canons du genre. Ce qui m’a motivé pour venir aux Rencontres d’Arles, c’est la diversité. Elle fait partie de son ADN. On a une liberté avec ce festival qu’on n’a pas forcément dans une institution.
Est-ce que l’art et la politique, l’art et l’engagement, sont importants aujourd’hui?
Oui je pense. En tout cas on le voit en ce moment. De nombreux photographes revendiquent que leur photographie est une forme de militantisme.
Comment vos goûts personnels interviennent-ils dans la programmation des Rencontres d’Arles?
Cette année, c’est un programme 50/50. L’exposition Masculinités était déjà sur le programme de Sam Stourdzé (l’ancien directeur) en 2020. J’ai essayé de partir d’une dizaine d’expositions que j’ai gardées, puis d’ajouter des regards différents. Sur Masculinités, j’ai demandé à Clarisse Hahn d’intervenir. Je savais qu’elle faisait ce travail sur les « Princes de la rue ». Elle vit pratiquement avec les gens qu’elle photographie, il y a une sorte de glissement entre sa vie privée et son environnement. Avec « Smith », j’ai ajouté une perspective plus expérimentale. Avec « The New Black Vanguard », je réponds au désir d’aller un peu au-delà de la question masculinité-féminité, du rapport au corps noir, aux origines… En cela j’ai mis ma patte dans cette édition.
Quels sont les enjeux actuels de votre poste?
Les enjeux, c’est de continuer le développement du festival. Il faut constamment le repenser, l’adapter au moment. On vient de sortir d’une période de pandémie, quand même assez dure. Ma tâche est d’apporter une diversité de programmation artistique, qui réponde à l’attente du public, qu’il soit professionnel ou amateur. Les Rencontres d’Arles, c’est aussi une plateforme. L’intérêt est de collaborer, d’imaginer des choses avec la Fondation LUMA, de Maja Hoffman, par exemple. Ou avec toutes les institutions autour d’Arles, qui nous sont fidèles. Je pense à Nîmes, Avignon, la collection Lambert, les institutions à Marseille… Comment continuer à faire des choses ensemble au-delà de la période estivale. Si on pense à tous nos jeunes des Prix Découvertes, peut-être peuvent-ils trouver une oreille pour faire une conférence ensemble dans ces institutions. Ce sont des choses que j’ai déjà amorcées. Penser des événements tout au long de l’année en France, en utilisant notre réseau, notre nom.
Quel est votre sentiment, après l’ouverture de cette édition 2021?
Je dirais un sentiment de plaisir retrouvé de l’échange. Les gens ont été sevrés de pouvoir échanger, de voir des œuvres, d’en parler. C’est ce qui fait la beauté de ce festival: il y a les expositions, et on se rencontre autour en échangeant des idées, en planifiant des expositions, etc. Cela fait tellement plaisir que le festival ait pu avoir lieu. Je pense que c’est la chose la plus forte cette année, en dehors de toute considération de programmation.
Avez-vous un avis sur l’état actuel du monde de la photographie ?
J’ai tendance à penser qu’on considère la photographie comme une entité alors qu’il y a des pratiques différentes, et que selon la pratique que l’on suit, on est dans une position plus ou moins stable ou fragile. On sait tous que les gens issus du reportage sont dans une grande précarité, même si ce n’est pas la spécialité des Rencontres d’Arles, mais bien plutôt celle de Visa pour l’Image, à Perpignan.
La photographie n’est-elle pas aussi victime de son succès?
Oui, il y a de cela. On a tous quasiment un appareil photo dans sa poche, donc on n’a plus besoin d’avoir quelqu’un qui a un oeil spécial, qui va à l’autre bout du monde. C’est pour cela que je vous parlais de récit : s’il y a encore une chose que savent faire les superbes journalistes, c’est écrire. Il y a des gens qui écrivent avec des mots, d’autres avec des images. Ça, c’est un réel talent. Tout le monde n’en est pas capable. Toutefois, la prolifération des images fait que chaque image prend une certaine relativité par rapport à sa voisine. Et donc à plus ou moins long terme, il n’y aura que certaines pratiques qui vont pouvoir perdurer.
Lesquelles?
Les pratiques qui impliquent l’écriture d’un récit. Tout le monde n’a pas forcément de sens artistique. C’est une erreur de croire que parce que vous allez faire une formation, vous allez avoir du talent. Au final, c’est bien cela qui fait la différence.
C’est quoi, le talent?
C’est l’oeil. Le fait d’être capable de construire une vision, et de pouvoir transporter.
Propos recueillis par Jonas Cuénin
Jonas Cuénin est le directeur éditorial de Blind et l’ancien rédacteur en chef des magazines L’Oeil de la Photographie et Camera.
Rencontres d’Arles 2021. Jusqu’au 26 septembre 2021. Plus d’informations et programmation complète ici.