Pour sa 12ème édition, le festival Portrait(s) de Vichy consacre une exposition monographique à Nadav Kander, la première en France. Portraits, nus, paysages et installations vidéo… le photographe et réalisateur britannique expose une centaine d’œuvres de plusieurs de ses séries au Grand Établissement Thermal de la ville, devenu depuis cette année la galerie principale du festival dont les autres expositions parsèment plusieurs lieux de la ville.
Blind a rencontré Nadav Kander à l’occasion de l’ouverture du festival.
C’est la première monographie de votre travail en France, que vouliez-vous mettre en avant dans cette exposition ?
La période du Covid à été l’occasion pour moi de me plonger dans mes archives. J’ai ainsi numérisé près de 3 000 photos sur un total de 70 000 négatifs. Il m’a fallu trois ou quatre ans mais je me suis retrouvé avec de nouvelles photos entre les mains. Pour le festival Portrait(s), je ne voulais pas faire une simple rétrospective, nous avons laissé de côté mes séries les plus connues pour faire ressortir une atmosphère particulière qui s’accentue au fur et à mesure de l’exposition.
Quelle est cette atmosphère ?
Je ne suis pas intéressé par la photographie qui se concentre à 100 % sur ce sur quoi vous focalisez votre objectif. Ca ne m’intéresse pas. Dans un portrait, il ne s’agit pas seulement de la personne photographiée mais aussi du spectateur qui la regarde. Lorsque le spectateur regarde un portrait ou un paysage, il peut y ressentir la solitude, l’amour ou la perte d’un être cher. C’est votre réflexion sur une image qui la rend intéressante. Les gens pensent toujours que le sens vient de l’image. Ce n’est pas ça. Le sens d’une image provient avant tout du triangle entre la photographie, le sujet et celui qui la regarde.
Vos portraits posent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses…
Nous possédons tous en nous l’envie, l’amour, la haine, la vulnérabilité… Helmar Lerski, grand portraitiste des années 1930, disait justement : « Chaque être possède toutes les émotions. Il suffit de choisir où tombe la lumière. » J’ai soudain compris avec cette simple phrase le sens véritable de mon travail. Lerski m’a donné la clé.
Comment préparez-vous vos portraits ?
Je passe toujours au moins trois heures à préparer mon studio avant de prendre la première photo. Cela ne me dérange pas de passer une courte période avec une personne, mais j’ai besoin d’une longue période de préparation. C’est comme dire à un peintre de réaliser un tableau en 10 minutes. C’est impossible.
Avant chaque portrait, je le dessine au préalable. J’écris et répertorie aussi dans des livres tous les aspects techniques, comme la couleur ou la lumière. Cela me permet de me servir de nouveau de certains réglages que j’avais auparavant utilisés.
Pouvez-vous nous raconter votre rencontre en 2013 avec Charles III, alors encore Prince ?
C’était une grande chance qu’il soit en vacances à Birkhall, sa résidence privée en Écosse. Il avait donc le temps. Il est arrivé le matin avec un kilt, ce que je ne voulais pas. Il a demandé « pourquoi ? » et j’ai répondu : « Parce que je veux que le portrait soit plus neutre ». Alors il est parti se changer et il est revenu avec un costume classique. Il a été l’une des personnes les plus simples à photographier. C’est un homme très ouvert et curieux, notamment parce que sa vie est tellement contrôlée, bien plus que celle de ses enfants. Il a été très généreux.
En 2017, vous avez filmé en caméras cachées la réaction des visiteurs face au Salvator Mundi de Léonard de Vinci. Que nous dit cette vidéo sur notre sensibilité face à la beauté ?
J’aime présenter des projets qui font réfléchir, qui interroge sur la condition humaine. Je n’aurais jamais pensé que certains visiteurs allaient pleurer devant le tableau. Certaines personnes sont restées dans cette pièce pendant deux heures. D’autres sont venues, ont regardé et sont parties aussi vite. C’était incroyable à quel point les gens étaient différents dans leurs réactions. L’être humain est au coeur de ce projet, il ne s’agit pas du tableau en lui-même mais de leurs réactions.
Photographe aussi de paysages, allant jusqu’à l’abstraction totale, vous êtes fasciné par les ruines… Que recherchez-vous dans ces espaces désertiques et mélancoliques ?
Les ruines disent beaucoup sur le monde, il est intéressant déjà d’observer comment la nature reprend ses droits. La ruine a ce côté romantique, on est fasciné par le sentiment de délabrement. J’essaie de ne pas occulter les parts d’ombre qui font partie de la vie humaine. La vie est aussi belle que la mort, un nourrisson aussi beau qu’une personne âgée, une belle personne n’existe que parce qu’il y a des imperfections. Si vous repoussez cette réalité, vous ne vivez pas totalement. Mélancolie, solitude, réflexion… Je pense que tous ces mots sont ce vers quoi mon travail gravite et qui fait pour moi partie de la beauté.
C’est votre définition du beau ?
Oui. Rien n’est parfait, voilà la beauté. Elle ne se résume pas à la perfection. Il serait effrayant de penser l’inverse.
Le festival Portrait(s) est à voir à Vichy jusqu’au 29 septembre 2024.