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La naissance du Bangladesh, dans la violence 

En 1971, le Bangladesh est créé à l’issue d’une guerre d’indépendance sanglante. Les combats brutaux entre le Bangladesh et le Pakistan, qui ont fini par toucher également l’Inde, ont conduit à un génocide de 3 millions de personnes et à une crise des réfugiés de 10 millions de personnes. Les images prises par le photojournaliste Raghu Rai constituent un puissant témoignage de ces événements.

« Il y a plus de 50 ans, on apprenait que le flot ininterrompu de réfugiés en provenance du Pakistan oriental grossissait de jour en jour et prenait la forme d’un exode. J’ai fait mes valises, je suis arrivé à Calcutta par le vol du matin et je suis descendu directement sur la route Jessore Khulna, qui mène à la frontière de l’actuel Bangladesh », écrit le photographe Raghu Rai dans un texte pour le livre intitulé Bangladesh : Rise of a Nation.

Raghu Rai, aujourd’hui membre de l’agence Magnum Photos, n’a pas toujours été photographe. À l’origine, au début des années 1960, il est ingénieur civil qualifié et travaille pour le gouvernement indien au Pendjab. Mais au bout d’un an et demi, il quitte son emploi et s’installe à Delhi chez son frère, photographe en chef du journal Indian Express. Lorsqu’il l’accompagne pour une mission sur le terrain, ce dernier lui prête un appareil photo et lui donne quelques leçons générales sur son utilisation. Raghu Rai revient alors avec de bonnes photos. Son frère en envoie une au Times à Londres, qui la publie, et Raghu Rai commence ainsi à sérieusement s’intéresser à la photographie.

« En quelques mois, mes promenades dans les rues et mes bonnes photos m’ont permis de décrocher un emploi au Statesman, l’un des principaux journaux du Pakistan », raconte t-il. « En 1966, je suis devenu photographe en chef, en concurrence avec mon frère aîné et un autre photographe bien connu, Kishore Parekh. »

Les causes de la guerre d’indépendance du Bangladesh remontent à la partition de l’Inde et du Pakistan en 1947. Le Pakistan est alors séparé en deux parties : Le Pakistan et le Pakistan oriental de l’autre côté de l’Inde, aujourd’hui le Bangladesh. Après des années de tensions économiques et sociales entre les deux parties du pays et la montée du nationalisme bengali au Pakistan oriental, l’armée pakistanaise lance l’opération « Searchlight » le 25 mars 1971, pour tenter d’éliminer les nationalistes bengalis du Pakistan oriental. Les soldats pakistanais tentent d’éliminer systématiquement les nationalistes, les civils bengalis, les étudiants, les minorités religieuses, les personnes instruites et le personnel militaire. Ils soutiennent également des milices armées qui terrorisent la population, tandis que les viols et les meurtres contre les Bengalis deviennent monnaie courante.

From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos

Les Bengalis se défendent, libérant villes et villages au fur et à mesure, et finissent par repousser les forces pakistanaises. Lorsque l’Inde entre dans cette guerre en décembre 1971, après une attaque préventive des forces pakistanaises, ces dernières sont submergées. Entraîné dans un combat sur deux fronts et incapable d’y faire face, le Pakistan se rend le 16 décembre 1971.

Les coûts de ce conflit sont astronomiques. Selon les estimations du haut-commissariat du Bangladesh à Londres, environ 3 millions de personnes sont tuées au cours des neuf mois de guerre. Près de 10 millions d’autres deviennent des réfugiés, tandis que 30 millions d’autres sont déplacées à l’intérieur du pays. 

Lorsque les réfugiés bengalis commencent à affluer en Inde pour échapper aux atrocités de l’armée pakistanaise, The Statesman envoie Raghu Rai à la frontière pour couvrir ces événements. « C’était en août, la mousson battait son plein et des milliers de réfugiés traversaient la frontière », explique Rai. « En fait, lorsque l’Inde et le Pakistan ont été divisés, j’avais à peine 5 ans et nous avons dû fuir le Pakistan pour nous réfugier en Inde. Je me revois alors petit garçon, marchant avec ces réfugiés bengalis, trempé et fatigué, sans que cette exode n’en finisse. »

From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos

Raghu Rai se rend à Bangaon, un petit village situé le long de la frontière indienne. La ville était trop petite pour accueillir tous les réfugiés qui s’y présentaient, car il n’y avait pas assez de nourriture, de vêtements et d’abris pour eux. Certains ont été contraints de vivre dans des canalisations d’égout jusqu’à ce que des camps de réfugiés soient mis en place.

Rai écrit aussi dans le texte du livre : « Les émotions liées à cet événement ont été extrêmement douloureuses. Je me rappelle d’une vieille femme levant les yeux lorsque je suis allé la photographier ; ses yeux étaient abîmés par la tragédie qu’elle vivait. Un enfant en manque de nourriture criait, ses yeux retenaient un flot de larmes. Une jeune femme, probablement violée, gisait à côté de ses casseroles, ses yeux agonisants ne clignaient plus. Cette expression m’a hanté pendant des jours. De retour à la maison, quelques jours plus tard, j’étais assis avec mon fils de trois ans. Regardant ces images, avec une expression douloureuse sur son visage, il m’a demandé : “Pourquoi ?” Et ce n’était que le début d’un holocauste infligé aux natifs de Sonar Bangla (Bengale doré)… »

Les photographies iconiques de Raghu Rai ont naturellement eu un effet sur la prise de conscience des événements. Le fait d’être vues internationalement a permis de comprendre l’ampleur de la crise à la frontière. « Nous ne sommes pas de vrais influenceurs sur la société, mais des informateurs honnêtes. La douleur des hommes et le déluge de souffrance doivent être partagés. À l’époque, en 1971, j’ai parcouru les capitales du monde avec 70 images de ces événements, dont 25 concernaient la détresse et la souffrance des réfugiés. Les grands articles du Monde, du Figaro, de Die Zeit ou du Washington Post expliquaient en leur compagnie comment l’Inde était accablée par 10 millions de réfugiés. »

From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos

Les effets de la guerre d’indépendance du Bangladesh se font encore sentir aujourd’hui. Les troubles actuels au Bangladesh résultent des séquelles de cette guerre. Les quotas d’emplois gouvernementaux créés à son issue sont l’une des causes profondes des manifestations massives d’étudiants au Bangladesh. Ils ont été créés à l’origine pour s’assurer que ceux qui ont combattu pendant la guerre, ainsi que leurs enfants et petits-enfants, obtiendraient un emploi solide. Ce système a été mis en place par le gouvernement de Sheikh Mujibur Rahman, le père de la dernière première ministre Sheikh Hasina Wazed, qui a démissionné le 5 août 2024. 

Alors que les récentes manifestations sont devenues meurtrières, avec des dizaines de morts et l’arrestation de dirigeants de partis, de militants et d’étudiants, le gouvernement du Bangladesh a décidé de couper l’accès à l’internet dans certaines régions, et de fermer le réseau ferroviaire afin d’empêcher la circulation de ses habitants.

From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos
From Bangladesh: Rise of a Nation © Raghu Rai / Magnum Photos

Le pays tombe ainsi une fois de plus dans un trou noir de l’information, où il est de plus en plus difficile de faire sortir du pays des informations journalistiques vérifiées. À la lumière de ces événements, les photographies et les reportages qui parviennent à être diffusés semblent nécessaires. Ils sensibilisent à l’histoire d’un pays trop souvent méconnu. « L’histoire se répète », dit Raghu Rai. « Siècle après siècle, les hommes restent des créatures cruelles et impitoyables lorsqu’il s’agit de considérations territoriales. Au nom du patriotisme, le diable se réveille prêt à tuer. Les dix commandements ou les sermons de la Geeta ou du Coran sont des histoires à jeter à la figure de chaque lauréat du prix Pulitzer ou du prix Nobel. Mais nous restons certainement des gens aimants. »

Bangladesh : Rise of a Nation est publié par la Durjoy Bangladesh Foundation et la Raghu Rai Foundation. De plus amples informations sur le livre sont disponibles ici, tandis que des informations sur l’exposition des photographies sont disponibles ici.

Le travail de Raghu Rai est disponible sur le site de Magnum Photos.

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