« Depuis quelques années, Les Abattoirs représente le deuxième musée d’art contemporain en France, après Le Centre Pompidou, avec des expositions majeures qui ont rayonné, notamment celles dédiées à Alberto Giacometti et Niki de Saint Phalle », affirme Pierre Esplugas-Labatut, le président du musée en ouverture de l’exposition intitulée « Ouvrir les yeux ». « Les Abattoirs ont pris une nouvelle dimension; lorsque je vais à la Biennale de Venise, je vois bien que le musée est clairement identifié sur la scène de l’art contemporain. »
Si la comparaison mérite d’être révisée, en ce moment aux Abattoirs de Toulouse, il est davantage question de photographie que d’art contemporain. Ainsi, l’exposition commissionnée par Christian Caujolle, conseiller artistique du Château d’Eau et Lauriane Gricourt, directrice des Abattoirs, s’organise t-elle en plusieurs thèmes, 9 exactement, répartis dans 8 salles plus la nef de cet espace dont on peut deviner le passé animal à travers son architecture singulière. Ils s’intitulent Sur le vif, Réalités parallèles, Sublimer le banal, L’art et la matière, La Fabrique du soi, Double Je, Perspectives – Lieux, Perspectives – Lignes, et Les corps photographiques.
« Ouvrir les yeux » retrace donc l’histoire de la photographie en présentant les collections des deux institutions partenaires. L’exposition compile 250 photographies, et forcément, il y en a pour tous les goûts. Elle est ainsi l’occasion de tester ses connaissances, de redécouvrir un artiste enfoui dans notre mémoire, de pouvoir admirer une œuvre qui nous est chère, ou de se dire que cette autre n’a pas forcément notre faveur.
Citons, pêle-mêle, les classiques des pionniers Eadweard Muybridge (1830-1904) et Étienne-Jules Marey (1830-1904) qui réussirent à décomposer le mouvement, entre autres celui du cheval au galop ou le vol des oiseaux; les jeux d’enfants de Sabine Weiss à l’envol de pigeons du Toulousain Jean Dieuzaide; les objets usuels de Marcel Duchamp (1887-1968) et ces situations anodines sublimées par le cadrage, la lumière, ou la couleur; les images fabriquées de Pierre Molinier ou André Kertész, inventions des photographes et visualisations d’une image d’abord mentale; les paysages délicats et oniriques de Matt Wilson, traversés par une lumière tantôt sombre tantôt éclatante; les images si décisives de Trent Parke, adepte également de visions atmosphériques uniques; ou encore l’autoportrait amusant d’Agnès Varda devant une peinture de Gentile Bellini où des personnages religieux arbore la même coiffure qu’elle (ou l’inverse).
L’Américain Alfredo Jaar, lui, mêle l’art à l’éducation, et c’est probablement l’une des œuvres qui résonne le plus dans l’exposition. Pour Paysage, une installation dont les images apparaissent dans des miroirs mais uniquement lorsqu’on en est proche, la description au mur affiche: « Pour les enfants. Si tu t’approches des miroirs de cette installation, tu verras les reflets de plusieurs photographies. Certaines présentent des réfugiés en mer, des personnes obligées de quitter leur pays d’origine pour échapper à un danger. D’autres photos sont des images de victimes de conflits qui ont eu lieu récemment ou qui sont encore en cours. Cette installation s’appelle Paysage car elle donne à voir un paysage particulier, celui de l’actualité de populations victimes de conflits dans le monde. Cette œuvre interroge comment ces tragédies sont traitées dans les médias. »
« Là, par exemple, on a des photographies qui montrent le conflit entre la Palestine et Israël. On a des migrants qui traversent la Manche », explique Christian Caujolle, commissaire de l’exposition. « Cette œuvre montre toute la plasticité de la photographie, parce qu’Alfredo Jaar a une formation d’architecte au départ. »
En fin de parcours, l’ancien directeur de la photographie au journal Libération et le fondateur de l’agence VU s’attarde sur le travail de Dimitra Dede, qui le touche tout particulièrement: « C’est un travail absolument incroyable. Ici, il y a de la sensualité, de la mort aussi avec cette photo d’un oiseau décédé. Il y a la fragilité de la fin de la maternité, parce que c’est un travail qui a été fait après la mort de sa mère, qui renferme donc une grande souffrance. Ces images sont aussi fragiles que résistantes. Je suis particulièrement sensible à la qualité de ces tirages sur papier japonais, c’est une matière fabuleuse, qui permet de restituer aussi bien la fragilité que la force de son travail. »
L’exposition « Ouvrir les yeux » est à voir aux Abattoirs, à Toulouse, jusqu’au 18 mai 2025.