À une époque où la photographie numérique domine et où l’intelligence artificielle redéfinit l’imaginaire visuel, Mathias Depardon, Ismail Ferdous, Théo Giacometti, Gaia Squarci, et Alessandro Silvestri ont photographié l’été 2024 avec cinq appareils photo emblématiques, fabriqués entre 1935 et 1964. Ces derniers sont issus du 99 Cameras Museum, une collection née d’une passion familiale, créée par Federico Benincasa, en hommage à son père Gianpaolo, collectionneur acharné d’appareils photo mythiques pendant plus de 50 ans (plus de 2000 pièces). Ces photographes documentaires, reconnus pour leur regard averti sur le monde actuel, ont ainsi relevé le défi de créer une série de photographies avec ces boîtiers iconiques, initiant ainsi un dialogue avec l’histoire de la photographie argentique.
À travers cette photographie analogique, ils revisitent le thème universel des photos d’été. Chacun d’eux a emporté un appareil photo durant ses vacances, documentant les paysages du sud de l’Europe, les baignades, les jeux, les promenades, leur intimité, les instants privilégiés en famille, tous ces moments simples qui font de l’été une période si douce à vivre. Ce projet entretient également une tradition chez les photographes professionnels: photographier sa propre existence et en faire une œuvre artistique, en parallèle des commandes, des sujets d’actualité, et des projets au long cours sur les enjeux de notre monde.
De soleil et de sable
C’est dans ce cadre que Mathias Depardon a réalisé une série d’images panoramiques. Elle révèle toute la particularité de ce format atypique: des horizons arrondis, des corps allongés, des éléments naturels pris au piège d’une vision à 180 degrés. Une photographie qui permet aussi de multiplier la documentation de scènes humaines, et qui incite ainsi le spectateur à s’approcher pour mieux en apprécier les subtilités. Pour réaliser ces photographies, Mathias Depardon a utilisé un Panon Widelux F6 produit au Japon en 1964: « Je suis à la frontière entre le Portugal et l’Espagne, c’est la période estivale, les vacanciers sont sur la plage. Au fil de mes pérégrinations j’ai tenté de capter à l’aide de ce Widelux angle 140 Movel F VI ce pèlerinage sur les côtes du sud de l’Europe entre l’Espagne et le Portugal. »
« Visions », la série d’Alessandro Silvestri, est née d’une recherche d’harmonie. « “L’harmonie c’est la conciliation des contraires, et pas l’écrasement des différences”, disait Jean Cocteau », explique le photographe. « Les images présentées ici offrent une réflexion sur l’imaginaire créatif liée à l’illusion, au rêve, à l’existence, en laissant le spectateur à sa propre interprétation. Il y est question de matière, de syncrétisme, d’un voyage visuel surtout. » Pour les réaliser, Alessandro Silvestri a utilisé un Kodak Retina 117, produit en Allemagne en 1934: « Je l’ai emmené pour un projet en Sicile orientale et sur l’Etna. C’était génial de faire des photos avec un appareil de 1934 sur un volcan. Moi qui fais beaucoup de portraits, de natures mortes et un peu d’architecture, j’ai essayé là de faire un reportage de voyage, de paysages. Le jour où j’ai fait l’ascension de l’Etna, il y avait une brume assez intense. On a l’impression d’être dans un paysage lunaire, on ne sait pas où on est. »
La série au Canon 7 (1961) de Théo Giacometti, intitulée « L’été des collines », a été réalisée en Bourgogne, durant des vacances en famille. Ainsi a t-il choisi de photographier son été tel qu’il fut : pas spécialement exotique ou aventureux, fait de moment intimes, d’enfants qui courent dans les champs ou de balades dans la nature. Le photographe aime cette forme de sincérité. Ne pas inventer l’Eldorado mais laisser la lumière de l’été rendre nos souvenirs universels, poétiques, hors du temps. Chercher dans le thème universel des photos de vacances une histoire, une poésie, des sensations communes, l’odeur des souvenirs d’enfance à la campagne. « Le projet posait un cadre simple et précis : un boîtier et une optique unique, une période de temps propice à l’aventure et à la découverte, une liberté créative totale dans cet espace. »
Toute sa vie, Gaia Squarci a été spectatrice de l’amour de ses parents. Elle a observé les rires, les maladies comme le cancer, elle les a vu vieillir. En vivant à l’étranger, elle a eu peur de les perdre, de voir l’un d’eux sans l’autre. Ses photos de leurs moments intimes se révèlent d’autant plus importantes. Lorsque Gaia Squarci regarde la mer devant la maison de ses parents, les vagues défilent un peu trop vite, comme si quelqu’un avait augmenté la vitesse d’un film.
Un décor de cinéma, c’est ce qu’Ismail Ferdous a réussi à saisir à Monopoli, dans la région des Pouilles, en Italie, au travers d’une esthétique proche de celle du film. Ses images révèlent des baigneurs près du port, profitant de l’eau bleue azur, bronzant sur les rochers, et entourés de maisons typiques de la côte adriatique.
Une collection qui traverse le temps
Installé au Studio Harcourt à Paris, le 99 Cameras Museum offre à travers tous ses appareils photographiques un regard intime sur ces prouesses techniques du 20e siècle. Ce musée de poche présente une riche collection en constante évolution, où chaque pièce est choisie pour son rôle dans l’histoire de la photographie.
Cette exposition, dont Blind a assuré la direction artistique, est la première d’un projet voué à être renouvelé chaque année, avec à chaque fois de nouveaux photographes utilisant de nouveaux appareils issus de la collection. En parallèle de l’exposition, dont tous les tirages sont à vendre, une série de NFT, développée en collaboration avec Obscura.io, la plus grande plateforme NFT européenne, vient enrichir l’expérience. Federico Benincasa, fondateur du 99 Cameras Museum, explique: « Ce projet invite à considérer l’argentique, loin d’être relégué à la nostalgie, comme une source d’inspiration durable pour les nouvelles générations en quête d’une photographie authentique. »
« The Analog Chronicles » est exposé à partir du 6 novembre 2024 au 15 février 2025 au Studio Harcourt, à Paris.
Image de couverture © Alessandro Silvestri