Cette année, le premier événement lié à Paris Photo est inévitablement le retour au Grand Palais, le lieu où la foire se tient depuis 2011 et qui a subi durant 2 ans d’importantes rénovations. Le deuxième événement est une carte blanche donnée à Jim Jarmusch, réalisateur et scénariste américain, et invité prestigieux. Pour célébrer le centenaire du surréalisme, Paris Photo a convié le cinéaste, amateur averti de photographie, à proposer un parcours d’œuvres dans la foire. Il est accompagné par une conversation en public avec l’artiste au Grand Palais et de la sortie en salle du film Return to Reason. Le film Return to Reason, qui réunit d’ailleurs quatre films de Man Ray nouvellement restaurés pour lequel Jim Jarmusch a composé la musique originale, est projeté en avant-première dans 2 salles à Paris à l’occasion de la foire.
Paris Photo, c’est aujourd’hui pas moins de 240 exposants en provenance de 34 pays, dont 147 galeries, et 24 nouvelles venues de la scène internationale. Des milliers de photographies réalisées par des artistes du monde entier, exposées les unes à côté des autres: une expérience qui peut s’avérer intense, voire étouffante, mais qui réserve toujours quelques surprises et d’agréables découvertes. Surtout, la foire s’impose depuis quelques années comme un événement où l’on découvre des expositions produites par des commissaires avisés, avec un réel propos artistique, qui s’avèrent être des respirations importantes dans cette atmosphère où la vente d’œuvres reste l’objectif principal. « Nous avons souhaité construire une foire qui non seulement célèbre les grands noms de la photographie, mais qui ouvre également des dialogues entre les œuvres historiques et les pratiques contemporaines. », dit Florence Bourgeois, la directrice de Paris Photo.
A l’entrée du Grand Palais, on trouve chez Pace Gallery une belle exposition dédiée à Robert Frank, qui est aussi à l’honneur chez Thomas Zander, qui propose une exploration de son influence sur les générations suivantes, ou encore chez l’éditeur Steidl, avec une mise en lumière de son travail éditorial. Un bel hommage au légendaire photographe américain, après celui du MoMA à New York.
Chez MUUS Collection, avec « Larry Fink, Sensual Empathy », c’est un autre américain humaniste, décédé récemment, qui est présent. On y retrouve tout ce qui fait de ses photographies des documents historiques: sa dépiction de la société américaine, de la haute société comme de la classe populaire, sa fascination pour les gens et leurs interactions, sa présence à des bals, des soirées mondaines, des manifestations, des matchs de boxe, et une documentation des habitants de la campagne pennsylvanienne. Toujours avec ce même cadrage audacieux et ce même clair-obscur magistral, et avec la même urgence, immédiateté et profonde sensibilité.
Cette année marque aussi les 100 ans de la signature du Manifeste du surréalisme. En résonance avec cet anniversaire, plusieurs oeuvres de Man Ray chez Bruce Silverstein (New York), Edwynn Houk (New York) et les Douches (Paris), rencontrent celles de Kati Horna chez Sophie Scheidecker (Paris) ainsi qu’un portfolio inédit de Manuel Álvarez Bravo chez RGR (Mexico). D’autres projets contemporains proposent un dialogue avec l’héritage surréaliste comme celui du merveilleux Jack Davidson chez Cob (Londres). Cet autodidacte de 34 ans, dont les photographies élégantes et intemporelles font fureur auprès des magazines de mode et des grandes marques, aime aussi les images volontairement énigmatiques et cultive la culture du flou.
Parmi les solos shows au sein de stands de galeries, on compte la rétrospective du travail d’Hiroshi Sugimoto chez Fraenkel (San Francisco), explorant le temps et la mémoire à travers des photographies et des installations vidéos. Un peu plus loin, chez In-Dependance, on découvre aussi Blue Skies, une série de 1 078 photographies de ciels bleus capturés sur des sites d’anciens camps nazis, abordant les thèmes du traumatisme et de la commémoration. Une œuvre osée dans un contexte économique où les galeries préfèrent en général miser sur des valeurs sûres, comme les tirages vintages et les photographies des plus célèbres artistes du 20e siècle.
Secteurs dédiés
Pour voir des œuvres très contemporaines, des expérimentations, des visions qui reflètent notre époque et ses évolutions, il faut se tourner davantage vers les secteurs que Paris Photo dédie aux nouvelles créations.
Le secteur Émergence, au premier étage, par exemple. Conçu par Anna Planas, il propose une exploration de la scène artistique contemporaine dans ce qu’elle a de plus créatif. Les 23 solo-shows soutenus par de jeunes galeries mettent en avant la diversité des techniques et des thèmes, poussant l’expérimentation du médium vers de nouvelles voix. De l’engagement sur des problématiques contemporaines à des recherches sur notre perception jusqu’à l’abstraction, le parcours montre la dynamique en cours d’une nouvelle génération d’artistes. Citons notamment les séries d’Alice Pallot et Letizia Le Fur.
Le Secteur Digital est quant à lui présent pour la deuxième année consécutive. Comme son nom l’indique, c’est une section dédiée à la photographie à l’ère digitale. Sous la direction de Nina Roehrs, spécialiste de l’art à l’ère digitale, l’espace présente une sélection de 15 galeries d’art contemporain et de plateformes curatées à la pointe des nouvelles technologies, présentant des artistes qui intègrent le digital dans leur travail. Cinq expositions collectives thématiques et dix solo shows d’artistes par des exposants internationaux, offrent ainsi un panorama de la photographie à l’intersection de la technologie et de la digitalisation dans la nef du Grand Palais. « L’approche curatoriale met en avant des artistes qui non seulement s’engagent avec de nouveaux médias, mais dont le travail reflète l’impact profond des révolutions technologiques sur nos vies, la société et l’économie », explique Nina Roehrs.
La foire lance aussi cette année le secteur Voices, que trois commissaires ont animé avec une proposition autour de thématiques contemporaines afin de faire émerger une scène artistique ou une pratique du médium. Les œuvres présentées dans Voices proviennent d’artistes de différentes générations, reflétant la scène riche et complexe de l’art contemporain en Amérique latine. Ces artistes explorent, à travers leurs créations, une multitude de thèmes : des séries expérimentales aux réflexions profondes sur la construction de l’identité et du corps, en passant par des explorations de la dissidence politique ou sexuelle, ainsi que des travaux sur la nature même de la photographie. « Je désire montrer la vitalité de la scène artistique en Amérique latine, du Mexique à l’Argentine, en explorant aussi bien la photographie historique que les artistes contemporains qui repoussent les frontières du médium », illustre Elena Navarro, Fondatrice de FotoMexico.
Collections privées
Une autre particularité à Paris Photo: les expositions dédiées aux collections privées. Commençons par « The Forms of Skulls, Forms of Love », qui rassemble au premier étage du Grand Palais des photographies lituaniennes issues des collections de la Bibliothèque nationale de France, du Centre Pompidou et de l’Union des Photographes de Lituanie. Dès la fin des années 1970, alors que la Lituanie est sous domination soviétique depuis trois décennies, plus de 1 600 tirages de 22 photographes rejoignent les collections de l’actuelle BnF via des donations successives de leurs auteurs. Ce fonds, centré sur une génération de photographes principalement actifs dans les années 1960 à 1980, dévoile une scène hautement expressive et des thèmes séculaires, voire métaphysiques : relation panthéiste à la nature et au monde animal, coexistence des générations, angoisse existentielle. Méconnue aujourd’hui du public, l’école de photographie lituanienne jouit pourtant à l’époque d’un grand prestige à travers l’Union soviétique et au-delà. Les souvenirs douloureux du passé récent du pays, réactivés par les crises actuelles, le rapport à la nature, bouleversé à l’heure des enjeux environnementaux globaux, ont modifié les pratiques artistiques et renouvelé le regard des photographes sur un monde qui n’en finit pas d’inquiéter.
Une autre collection est à signaler: celle de la Fnac. Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, a choisi parmi les 1800 œuvres qui la composent une sélection en lien avec la question du « regard », titre retenu pour le livre publié sous sa direction, Regards. Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr. Modèles regardant le photographe, images suggérant un regard sur un hors champ, clichés bâtis sur des jeux de regards multiples. Ce sont une trentaine d’œuvres originales qui sont exposées.
Enfin, on s’arrête avec bonheur devant la série Paradise, de Maxime Riché, exposée dans le cadre du prix photo Dahinden (Une autre empreinte), qui a pour objectif de promouvoir une création plus responsable, l’éco-conception dans le milieu artistique et de sensibiliser les publics aux enjeux environnementaux. De 2020 à 2021, le photographe français a documenté les ravages des méga feux à Paradise, en Californie. Ses somptueux paysages captés au film infrarouge et les portraits bruts de ses rescapés livrent un regard singulier sur cette catastrophe climatique.
Paris Photo, du 7 au 10 novembre 2024 au Grand Palais, à Paris.