Dès 1490, Léonard de Vinci décrivait la Camera Obscura en ces termes : « C’est elle qui guide le discours humain vers la considération des choses divines. Ici les figures, ici les couleurs, ici toutes les images de chaque partie de l’univers sont contractées en un point. Ô quel point si merveilleux ! ». Depuis, la mission d’innombrables artistes a été de capturer les couleurs de notre monde. Y compris pour Eric Meola, dont l’appareil photo a été le moyen d’expression privilégié.
Après son livre Fierce Beauty : Storms of the Great Plains (Beauté féroce : tempêtes des Grandes Plaines, Images Publishing, 2019), Meola enchaîne aujourd’hui avec un volume plus petit, mais plus intime, qui, étrangement, parle plus largement et plus profondément de la quête de cet artiste: capturer la pureté de la couleur. Bending Light : The Moods of Color (Plier la lumière : les humeurs de la couleur, Images Publishing, 2024) retrace ainsi la longue carrière d’Eric Meola et donne un aperçu d’une vie passée à affiner ce sens bien précis.
L’une des particularités de ce livre est qu’il présente des photographies prises entre 1972 à 2024 de manière aléatoire, où il est presque impossible de faire la différence entre le scan d’un négatif et une image numérique en haute-résolution. L’échelle réduite des photographies est assez inattendue pour montrer de la puissance sans que le lecteur n’ait besoin d’être submergé par la taille. Ce livre, qui doit se retrouver quelque part entre les genoux du lecteur et la table de la cuisine, use de ses charmes grâce à une approche traditionnelle de la mise en page – texte à droite en face de photographies plein cadre, essentiellement horizontales -, qui favorise ainsi l’alliage des mots et des images.
Rares sont les photographes qui savent écrire aussi bien qu’ils voient, mais Eric Meola fait les deux avec clarté et perspicacité. Les histoires qui accompagnent la plupart des photographies montrent que certains photographes savent non seulement où se placer pour dénicher l’expression de la beauté, mais qu’ils ont aussi un sens aigu de la mémoire qui nous permet d’être avec eux au moment de la prise de vue.
Faits marquants: Eric Meola a été assistant de Pete Turner, il participé à une séance unique avec les musiciens Bruce Springsteen et Clarence Clemons pour la couverture de l’album Born to Run, et il a été honoré cette année en tant qu’artiste vedette à Xposure 24 (le géant mondial de la photographie qui fait des vagues au Moyen-Orient), il a été élu photographe publicitaire de l’année par l’American Society of Media Photographers en 1986, il a reçu le Lifetime Achievement Award décerné par les Professional Photographers of America en 2023.
Eric Meola a surtout passé une vie à choisir ce qu’il faut photographier et à quel moment. À l’instar des grands chefs qui travaillent régulièrement et méticuleusement à l’affinage et à la réduction d’une sauce parfaite jusqu’à ce que ses éléments soient en équilibre subtil les uns avec les autres, les photos de Bending Light pulsent avec un rythme et un équilibre qui leur sont propres, tout en partageant des sujets universels.
Dans l’image intitulée Motel Mojave Desert, California 1978, un rendu net d’un bâtiment humblement construit avec une enseigne au néon rouge diffusant un message, Eric Meola affirme clairement sa présence à travers cette représentation brute des couleurs, à la fois intuitive et nostalgique. La liberté et la solitude des longs voyages, la nostalgie d’une époque plus simple où l’hébergement n’était pas lié à une seule entreprise, voilà quelques-uns des accords subliminaux qui se dégagent de cette palette saturée.
De l’Islande à l’Inde, du Nevada aux Pays-Bas et de la Californie à la Chine, Meola est toujours à la recherche d’une vision minimaliste de la clarté, comme en témoignent les photographies qu’il a prises cette année lors de son voyage au Moyen-Orient. Kaleidoscopic Ceiling Abu Dhabi, United Arab Emirates 2024 est un document fantaisiste qu’il vaut mieux apprécier en tant qu’image. Des formes abstraites rappellent l’expérience de regarder pour la première fois la lumière et les couleurs à travers un kaléidoscope.
Eric Meola a été témoin du pouvoir de la photographie à une époque où elle se développait comme image publicitaire, il en a usé, et a acquis l’art de plier la lumière. Comme il l’explique pour décrire sa photographie Oil in Water Sagaponack, New York 2023: « Je photographie selon un mantra simple : la couleur et la lumière sont mon sujet autant que le sujet lui-même. Nous nous envolons avec la couleur, et la confluence de la lumière et de la couleur définit notre existence, résonne dans nos âmes et ricoche au rythme de nos émotions, créant un paysage de l’esprit, de nos yeux et de notre humeur. »
Eric Meola, Bending Light: The Moods of Color est disponible au prix de 85$ chez Images Publishing.