« Dans tes brumes » : ce que le brouillard révèle

Jusqu’au 22 février 2025, la galerie Les Filles du Calvaire accueille « Dans tes brumes », une exposition collective rassemblant neuf photographes belges dans une scénographie sensible, explorant les notions d’apparition, de disparition, ainsi que leurs nombreuses nuances.

Qu’ont en commun les glaciers de l’Arctique, les îles perdues en pleine mer, et les corps cachés dans des collages colorés ? La certitude d’une disparition imminente, et, peut-être, l’espoir d’une résurrection. Imaginée par Lisa Bruyneel, ancienne iconographe de l’Opéra de Paris et fondatrice du laboratoire créatif la Fabrique des regards, l’exposition collective Dans tes brumes convoque un territoire hors du temps où se rencontrent neuf artistes belges : Dirk Braeckman, Julie Calbert, Katrien de Blauwer, Antoine de Winter, Renee Lorie, Stéphanie Roland, Dries Segers, Lore Stessel et Laure Winants.  Un dialogue « riche où l’image se déploie de bien des manières, précise Charlotte Boudon, directrice artistique de la galerie des Filles du Calvaire. De l’abstraction chromatique au figuratif, des impressions sur marbre à une collection de cartes postales imprimées sur du papier thermique »

Katrien De Blauwer, Blue 49, 2017
Katrien De Blauwer, Blue 49, 2017

Cette diversité, Lise Bruyneel l’harmonise par la poésie. Une poésie qu’elle convoque dès notre entrée dans l’espace. « C’est une exposition qui parle de l’énergie d’une ville, de l’effacement et de l’oubli, du surgissement et de l’inattendu », nous prévient-elle. À cette amorce s’ajoute un corpus littéraire riche (Denis Diderot, Maya Angelou, W.G. Sebald…), venant nourrir les œuvres présentées. En parallèle, et comme un clin d’œil à son ancienne profession, la curatrice propose une playlist nous accompagnant le long de l’escalier passant du rez-de-chaussée au 1er étage de la galerie. Une nappe discrète, soulignant la volonté d’interpréter cette notion d’apparition dans toutes ses nuances. 

Une brume métaphorique

Car c’est au sens large qu’il faut interpréter le titre de l’exposition. Cette brume, qui cache et révèle, qui nous interroge sur la perte comme – parfois – sur notre propre disparition, est partout. Chez Katrien de Blauwer et Lore Stessel, elle est métaphorique, voire ludique. La première développe, en collages, une iconographie de l’émotion composée de corps morcelés se fondant dans la matière qu’on leur superpose. La seconde imagine des performances avec ses sujets-danseurs dont elle peint les silhouettes à l’aide d’une émulsion photosensible, laissant derrière elle des couches épaisses ou des zones vides qui effacent ou surchargent sa toile de fond. 

Renée Lorie, Through binoculars, Série Shelter, 2020
Renée Lorie, Through binoculars, Série Shelter, 2020
Lore Stessel, As the sea remembers the sky #14, 2024
Lore Stessel, As the sea remembers the sky #14, 2024
Julie Calbert, êkhô, 2023
Julie Calbert, êkhô, 2023

Pour Dries Segers, photographier signifie avant tout « écrire avec la lumière ». La focale ouverte, béante jusqu’à engloutir l’image, il capture, dans Hits of Sunshine, un soleil couchant qui vient détruire le négatif. En résultent des visions cosmiques, presque abstraites, d’un astre rougeoyant flottant dans un brouillard bleuté. Un départ vers l’étrange qu’emprunte également Dirk Braeckman. Travaillant avec l’archive, l’artiste imprime sur aluminium, ce qu’il nomme l’« appropriation ». « La soustraction d’une image à son contexte original pour la faire sienne », explique-t-il. D’un gris sombre, piqué de formes noires qui grouillent, émerge ainsi une volute claire évoquant un embrasement – un mystère, qu’il laisse le soin au spectateur d’élucider. 

Notre aveuglement

D’autres brumes, cependant, émergent aussi des messages. Des balises nous renvoyant au réel : celui de l’urgence climatique. « Il nous fallait en rendre compte, c’est une réflexion qui est aujourd’hui, indéniablement présente dans bien des travaux », rappelle Charlotte Boudon. Ainsi, Stéphanie Roland fait apparaître et disparaître des « îles fantômes » sur des cartes postales qui réagissent à la chaleur de nos paumes. Au verso ? Les coordonnées de ces territoires et la date de leur possible noyade – prédite par des scientifiques. Ancien médecin, Antoine de Winter devient quant à lui « archéologue du présent » photographiant les bâches qui recouvrent les glaciers pour en ralentir la fonte. De curieux linceuls dont il révèle la triste beauté sur des tirages sur verre. « Le titre de la série, « Blindfolded », prend alors un sens cruel : ce qui est enveloppé ici, c’est notre aveuglement », explique Lise Bruyneel. 

Antoine De Winter, Série Blindfolded, 2024
Antoine De Winter, Série Blindfolded, 2024
Laure Winants, Refraction #2, 2024
Laure Winants, Refraction #2, 2024
Dirk Braeckman, ECHTZEIT #172-24,2024, Courtesy of the artist and T H E P I L L ®
Dirk Braeckman, ECHTZEIT #172-24,2024, Courtesy of the artist and T H E P I L L ®
Dirk Braeckman, ECHTZEIT #172-24,2024, Courtesy of the artist and T H E P I L L ®
Dirk Braeckman, ECHTZEIT #172-24,2024, Courtesy of the artist and T H E P I L L ®

Enfin, c’est en Arctique que Laure Winants conçoit « Time Capsule », ses nuanciers grand format. « Quand on fait des forages là-bas, on étudie le contenu des bulles d’air prisonnières de la glace. On remonte le temps pour comprendre les climats passés », dit-elle. Jouant avec le prisme de la lumière, elle souligne « l’histoire du temps »: « Car le temps fait lumière, et la révèle par la couleur. Les spectres lumineux que vous voyez sont dans ancrés dans une période bien précise »

Alliant récit, savoir et expérimentation technique, le travail de Laure Winants illustre à merveille la volonté de Lise Bruyneel. « “Dans tes brumes” pose un regard neuf sur la création visuelle, comme la scénographie d’exposition. On y croise plusieurs strates, plusieurs niveaux d’interprétation, affirme la photographe, qui conclut : une expérience menée à bien par une curatrice dont j’admire le sens de l’humain et le faire ensemble. » 

« Dans tes brumes » est exposée jusqu’au 22 février 2025 à la galerie Les Filles du Calvaire, à Paris.

Dries Segers, Hits Of Sunshine
Dries Segers, Hits Of Sunshine

Vous avez perdu la vue.
Ne ratez rien du meilleur des arts visuels. Abonnez vous pour 7$ par mois ou 84$ 70$ par an.