« Paysages Mouvants » : les histoires que la terre nous conte 

Jusqu’au 23 mars 2025 au Jeu de Paume à Paris, le festival « Paysages Mouvants » nous propose de nous immerger dans des territoires capturés par 15 artistes. Une série d’installations nous faisant voyager de la création du monde à sa disparition.

« Il faut entrer dans cette exposition comme on dévalerait une montagne ou on suivrait le cours d’un fleuve », annonce Jeanne Mercier, la commissaire de « Paysages Mouvants », seconde édition du festival du Jeu de Paume dédié aux métamorphoses de l’image contemporaine. Sur les deux étages du lieu, 15 artistes questionnent, au travers de 14 installations, le paysage et la manière dont ses représentations nous influencent.

Au détour des cimaises, par-delà un rideau tiré ou même au cœur d’une salle obscure où retentit de la techno, les spectateurs sont invités à s’immerger dans l’expérience pour saisir les narrations qui s’y déploient. « Nous avons pris la notion d’histoire au pied de la lettre, poursuit Jeanne Mercier. Nous souhaitions créer un récit commun qui embrasse tous les univers. Susciter une attente, un suspens, une tension. Pousser les visiteurs à la réflexion. »

The Scylla/Charybdis, Temporal Rift Paradox 2025, Installation : soieries, bras robotisé, vidéo, lumières leds et Uvs (détail) © Mounir Ayache
The Scylla/Charybdis, Temporal Rift Paradox 2025, Installation : soieries, bras robotisé, vidéo, lumières leds et Uvs (détail) © Mounir Ayache
Paradise 24, Sao Francisco Xavier, Brazil, 2001, de la série New Pictures from Paradise 2001, Tirage chromogène © Thomas Struth
Paradise 24, Sao Francisco Xavier, Brazil, 2001, de la série New Pictures from Paradise 2001, Tirage chromogène © Thomas Struth
Planches de botanique de végétaux du bassin méditerranéen légendées en arabe, 2018. Marwan Cheikh Albassatneh © Mathieu Pernot © Adagp, 2025
Planches de botanique de végétaux du bassin méditerranéen légendées en arabe, 2018. Marwan Cheikh Albassatneh © Mathieu Pernot © Adagp, 2025

Des origines du monde à un futur lointain, les œuvres rythment le parcours, ponctuations s’encrant dans un début, un milieu et une fin destinés à mieux nous guider dans le dédale des créations. 

Croiser les temporalités

Les glaciers grand format de Julian Charrière ouvrent la danse – une référence à l’impact visuel de ces paysages devenus emblèmes du dérèglement climatique. À la glace s’opposent les terres volcaniques d’Asie du Sud et les palmiers d’huile de palme que leur éruption embrase. Au centre de la pièce, dans ce décor apocalyptique, une lava lamp gigantesque rempli d’huile de palme s’amuse de l’absurdité des effets de mode : dans cet objet, populaire dans les années 1990-2000, on lit le symbole d’une exploitation.

An Invitation to Disappear - Sorong, Tirage photographique 2018 © Julian Charrière © Adagp, 2025
An Invitation to Disappear – Sorong, Tirage photographique 2018 © Julian Charrière © Adagp, 2025
.cóm 2025 Image 3D © Prune Phi © Adagp, 2025. Une co-production de la Fondation Martell.
.cóm 2025 Image 3D © Prune Phi © Adagp, 2025. Une co-production de la Fondation Martell.

Prune Phi, ensuite, tisse un lien entre la grande histoire et ses propres archives familiales en connectant le passé de son « grand-père vietnamien, fondateur d’un restaurant appelé La Rizière à [s]es recherches sur ces terrains en Camargue ». Deux temporalités qui se retrouvent dans un plateau de cuisine à roulettes, où les verres à saké deviennent des loupes révélant des images cachées.

À l’étage, le temps passe alors que l’altitude change. Julien Lombardi dévoile Planeta, un travail sur le Mexique au cœur duquel il développe « un imaginaire du spatial, d’un point de vue anthropologique, en croisant science et science-fiction ». Jouant avec l’infrarouge et l’ultraviolet, il transforme les déserts terrestres en panoramas martiens, capturés par des rovers fictifs.

Planeta 2025, Installation : photographies et sculpture (détail) © Julien Lombardi
Planeta 2025, Installation : photographies et sculpture (détail) © Julien Lombardi
Tales From The Sources 2025, Installation : oeuvres textiles et vidéos (extrait) © Léonard Pongo
Tales From The Sources 2025, Installation : oeuvres textiles et vidéos (extrait) © Léonard Pongo

Enfin, point final du festival, l’installation de Mounir Ayache nous projette au 26e siècle. Inspiré par le mythe de Charybde et Scylla, il donne à écouter une discussion entre deux entités échangeant, en arabe littéraire, sur la fin du monde. Autour d’elles, un paysage composé de montagne en voiles – de la marque Hermès – et une représentation numérique de palmiers animée par un énorme bras robotique. Un édifice futuriste rendant hommage à une nature désormais perdue. 

La photographie, une actrice active de la narration

Et, si l’écriture photographique n’est pas en reste, lorsqu’elle domine un projet, elle est déconstruite, repensée pour devenir actrice active de la narration. Ainsi, Richard Pak raconte l’histoire de Nauru, une île d’Océanie de 20 km2. La découverte de réserves de phosphate au siècle dernier avait fait d’elle un territoire puissant. À son indépendance, en 1968, l’État devient le plus riche du monde.

Soleil vert, 2023, de la série L’île naufragée, Tirage photographique © Richard Pak
Soleil vert, 2023, de la série L’île naufragée, Tirage photographique © Richard Pak

Mais l’épuisement des ressources le plonge rapidement dans une misère importante, faisant de lui, au milieu des années 1990, le pays le plus pauvre du globe. « J’ai voulu sacrifier les négatifs avec de l’acide phosphorique pour lui rendre hommage. Pour souligner cette sorte d’ironie de l’anthropocène », nous dit Richard Pak. En résultent des œuvres « piquées », où les trous béants causés par l’acide éventrent la nature, corrompent la beauté en faisant apparaître une inexplicable monstruosité. 

Un rapport à l’incontrôle qu’Andrea Olga Mantovani expérimente elle aussi. « Alors que je m’intéressais à la protection des forêts en Ukraine, j’ai découvert que j’avais un grand-père forestier qui s’appelait André. Je me suis ensuite rendue dans les Carpates ukrainiennes en m’équipant de deux petites caméras argentiques. J’avais mis dans l’une des pellicules périmées, en sachant qu’il était possible que rien n’en sorte – je me suis dit que ces images-là seraient celles de mon grand-père », raconte-t-elle. Jouant avec la chromie, elle propose alors un dialogue aux nuances marquées – du violet au rouge, en passant par le noir et blanc – comme une manière de communiquer avec l’âme d’un lieu et celle de son aïeul.

Cicatrice de la série Racines 2023, Tirage photographique © Andrea Olga Mantovani
Cicatrice de la série Racines 2023, Tirage photographique © Andrea Olga Mantovani
Path to the Stars 2022, Installation vidéo (HD color and sound 34'41), lumière, lettres métalliques (extrait) © Mónica de Miranda
Path to the Stars 2022, Installation vidéo (HD color and sound 34’41), lumière, lettres métalliques (extrait) © Mónica de Miranda

C’est là la force de « Paysages Mouvants » : par la diversité des médiums et des sensibilités présentés, le festival révèle une pluralité des visions. Autant de thématiques nourries par des propositions artistiques en quête de renouvellement.

Le festival de nouvelles images « Paysages Mouvants » est à retrouver au Jeu de Paume jusqu’au 23 mars 2025.

Image de couverture: Les nuées de sables, Sahara du projet « Le Nuage qui parlait », 2011 à nos jours, Triptyque, Tirage photographique © Yo-Yo Gonthier © Adagp, 2025

Drowned Forest 2015-2024, Installation filmique en 16 mm avec son optique © Edgar Cleijne et Ellen Gallagher
Drowned Forest 2015-2024, Installation filmique en 16 mm avec son optique © Edgar Cleijne et Ellen Gallagher
Le Voyage du Phoenix – Copie d’une Copie, 2025, Installation : vidéos, sculptures et photographies © Laila Hida
Le Voyage du Phoenix – Copie d’une Copie, 2025, Installation : vidéos, sculptures et photographies © Laila Hida

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