Récemment, par un heureux hasard, je suis tombé sur une vieille boîte poussiéreuse de négatifs et de planches-contacts datant de mon adolescence, dans les années 1980. Je m’appelais « Mylerdude » à l’époque et j’adorais capturer la vie autour de moi avec mon appareil photo. En parcourant ces images, je me suis senti transporté à une époque où les choses étaient plus simples, où mes seuls soucis étaient de prendre la photo parfaite et d’arriver à l’heure en cours. C’était comme si j’étais tombé sur une capsule temporelle, un trésor de moments oubliés.
Je me suis donné pour mission de préserver et sauver ces photographies sur le point d’être oubliées, et j’ai créé 80sphotokid.com pour les faire partager. Ce sont des images incroyables, qui capturent l’âme même du lycée Horace Greeley, les rues pleines d’énergie de New York, les paysages tranquilles de Chappaqua (NY), du Vermont, de Rhode Island, pour ne citer que ceux-là.
Le gardien de la chambre noire
Iconographe du journal du lycée Horace Greeley, The Greeley Tribune (1986-1988), j’ai capturé l’essence de la vie des élèves en tous lieux, des terrains de sport à la cafétéria. Mon rôle de photographe pour l’annuaire scolaire était exigeant, mais aussi très gratifiant, car j’ai pu saisir l’individualité de notre campus et de notre classe supérieure à travers des portraits défiant les conventions. J’ai photographié tout le monde : les professeurs, les preppies soignés, les « Monsieurs muscle », les fous d’informatique, les esprits libres, les fumeurs, les new wavers éclectiques et même les employées à la cantine, qui travaillaient dur.
Ma passion pour la capture du temps a été encouragée par le département de photographie de l’école, dirigé par le vénéré Glenn Swayne. Swayne était le gardien de la chambre noire, un espace mystérieux caché dans le couloir derrière une porte de placard. Et cet espace recelait tout un monde de magie, un monde où la bonne combinaison entre les produits chimiques, la température, le temps, l’agitation du film pendant le développement transformerait l’abstrait en tangible.
La chambre noire était divisée en trois zones : les cabines où l’on manipulait les négatifs dans l’obscurité totale, la pièce humide abritant des bains de révélateur et des bacs d’eau courante, et la chambre noire proprement dite avec ses agrandisseurs (certains avaient de meilleurs ventilateurs et horloges de compte à rebours que les autres) et une table humide éclairée par des lumières rouges. La simplicité de l’ingénierie de notre chambre noire démentait le pouvoir qu’elle détenait sur notre imagination.
Très tôt, probablement en raison de ressources limitées, j’ai reconnu l’importance de planches-contacts très organisées comme représentation visuelle de mes aventures photographiques et de mes expériences de vie. J’étais fasciné par l’idée de construire un récit cohérent à travers la série de photos que j’avais réalisées, mais je n’avais pas beaucoup de papier ou de film à perdre, donc rester simple était toujours une gymnastique. J’ai appris cette frugalité de mes parents, des photographes passionnés à part entière qui m’ont initié à la photographie, dans le sens où j’étais souvent leur modèle.
Mes parents se disputaient souvent pour savoir qui prenait les meilleures photos de vacances, livrées par le facteur quelques semaines après notre retour à la maison. Ils m’ont acheté mon premier appareil en 1977, à Disney World, un Kodak Instamatic 100. On m’a offert mieux pour ma Bar Mitzvah quelques années plus tard, un Canon AE-1. Sans compter trois ou quatre Kodak Disc, une nouveauté qui faisait fureur en 1984 !
Mon AE-1 m’accompagnait partout où j’allais consommer des rouleaux de pellicule noir et blanc (généralement Kodak Tri-X 400) et du papier photo (généralement Ilford 100), finançant ma passion en tondant les pelouses du quartier. Nous vivions à Chappaqua, une enclave de banlieues boisées juste au nord de New York, dans une vieille maison style Tudor perchée sur une colline surplombant un étang.
Ma chambre était nichée dans le grenier, tout était paisible avec mes différents oiseaux de compagnie, mon appareil photo et ma collection de disques. Ma chaîne stéréo était toujours allumée, et la musique des années 1980, que j’écoutais très fort, a été une présence constante dans ma vie. Je collectionnais les disques comme la plupart des adolescents, et je les répertoriais sur des fiches, en notant le nom de chaque membre des groupes, et la date où mes amis les empruntaient et les rendaient.
En été, Block Island – une petite île située à 20km au large de la côte de Rhode Island – était notre terrain de jeu. Un jour, j’ai réalisé une série de clichés impromptus de ces requins qui dévorent jusqu’à leurs propres bébés. Dans mon sac photo, j’avais un petit bras en plastique « emprunté » à une poupée d’entraînement à la réanimation cardiopulmonaire, et quand nous sommes tombés sur un requin mort sur la plage, la photo était là devant moi.
Lors de ces mêmes vacances, mon père a emprunté mon appareil et a pris quelques photos à mon insu. J’étais d’abord très fâché car il venait perturber la continuité de mes futures planches contact. Nous nous sommes disputé. Mais, avec le temps, j’ai fini par comprendre son point de vue et sa joie de saisir l’instant. Depuis, cette anecdote nous fait bien sourire.
Dans la banlieue où j’ai grandi, les autres adolescents et moi prenions souvent dans le train pour New York, comme on part joyeusement à l’aventure. Nos parents nous faisaient confiance, et armés de nos appareils, nous allions capturer des images et des visages dans la grande ville. Une fois, j’ai failli perdre mon AE-1 au jeu du bonneteau. J’allais parier, parce que j’étais confiant que je pouvais battre les arnaqueurs avec leurs propres armes et que j’allais gagner le jackpot. Mon ami m’a raisonné et je m’en suis sorti indemne – de justesse !
Une autre fois à New York, j’ai vu surgir une marche pour les droits de l’Homme dans le quartier West Village. Les manifestants défilaient en scandant « Honte ! Honte! Honte ! », et ils montraient du doigt les spectateurs, y compris moi.
J’ai eu la chance de manquer l’école un jour d’octobre et de vivre une authentique « ticker-tape parade » à New York. Des papiers pleuvaient du ciel entre les gratte-ciel du centre-ville pour célébrer la victoire des Mets de New York contre les Red Sox de Boston dans les World Series 1986 de baseball. Capturer l’exubérance du champion Gary Carter, son explosion de joie avec les spectateurs massés sur les trottoirs, était quelque chose d’extrêmement fort, mais je ne l’ai réalisé que quelques jours plus tard en développant les négatifs.
Je me demande souvent à quoi aurait ressemblé ma vie si j’avais poursuivi une carrière artistique ou professionnelle en photographie, si l’objectif de mon appareil m’avait guidé pour réaliser mes rêves. J’ai toujours une profonde passion pour la photographie, je me rappelle encore pourquoi j’ai été attiré par elle en premier lieu, j’ai en moi l’écho des musiques des années 1980 que j’écoutais dans mon grenier. Je prends des milliers de photos par an, certaines de la petit île de Block Island peuvent êtres vues ici.
La photographie est une forme d’expression profondément apaisante pour moi, et me procure un profond sentiment de joie chaque fois que je peux m’esquiver, chaque fois que je presse l’obturateur et fige le temps pour l’éternité.
Vous pouvez voir toute la collection en noir et blanc de Mylerdude des années 1980 et écouter sa collection de disques sur 80sphotokid.com.