Le poète William Stafford a écrit une ode à la voie intuitive, la caractérisant comme un fil invisible que nous possédons tous et qui nous fait lentement avancer, dans un poème intitulé The Way It Is : « Il y a un fil que vous suivez », a-t-il écrit. « Il va parmi / les choses qui changent. Mais il ne change pas. / Les gens se demandent ce que vous poursuivez. / Vous devez expliquer le fil. / Mais c’est difficile à voir pour les autres. »
Lorsque l’artiste et photographe Nadav Kander a lu le poème de Stafford, il a été d’une influence certaine. « J’ai adoré tomber sur ce poème. J’ai souvent ce sentiment quand je suis dans le flux », dit Kander. « J’imagine presque un fil sur mes genoux et je suis en connexion avec lui, je peux le tenir. Et plus je suis dans le flux, et plus je travaille, plus j’ajoute des fibres au fil. C’est alors que, comme le fil, vous devenez de plus en plus robuste à mesure que vous vous connaissez mieux. »
« Et il y a un certain sentiment lorsque vous êtes dans le flux », poursuit-il. « Je ne peux le décrire que comme étant celui où votre ego et votre histoire personnelle s’absentent – c’est quand vous êtes totalement dans l’instant. Et vous n’avez pas ce regard extérieur critique. »
Nadav Kander relie ses photographies, du passé et du présent, dans une nouvelle exposition à la galerie Howard Greenberg intitulée « Nadav Kander : The Thread », qui couvre des œuvres des années 1990 aux années 2020. L’exposition présente une collection de portraits et de paysages qui se marient parfaitement.
Kander cite le poème de Stafford comme source d’inspiration pour l’exposition, mais il rechigne à sur-expliquer son travail. « Ce que j’aime dans le travail des autres, c’est quand il me demande d’aller chercher des réponses moi-même, quand les réponses ne sont pas données dans la photographie », dit-il. « La photographie donne trop souvent tout. Tout est là pour être vu. Et ce n’est pas du tout ce qui me fait vibrer. »
L’une des images les plus fascinantes de l’exposition est Atlantic Ocean III (Copacabana Beach), une photographie de l’océan sous un ciel noir d’encre. Les vagues se déplacent si rapidement qu’elles se transforment en stries de blanc, de bleu et de gris, avec seulement le blanc de l’écume pour éclairer une scène qui autrement serait sombre. Il y a un équilibre sublime entre l’énergie frénétique de l’eau et l’immobilité du ciel, entre la profondeur du ciel sombre et le blanc de la crête des vagues. Ce dynamisme se retrouve dans tout le travail de Kander, qu’il s’agisse de portraits ou de paysages.
« J’ai vraiment l’impression que mes paysages sont des portraits parce qu’il ne s’agit jamais de belles fleurs dans une prairie. Ils sont toujours en rapport avec des êtres humains », explique Kander, citant en exemple sa série capturant l’estuaire de la Tamise. « Ce n’est qu’une zone plate avec quelques villes. Ce n’est pas très intéressant, mais quand on pense à l’histoire du fleuve, il n’y en a pas d’autre dans le monde avec une histoire similaire. Et il n’y a pas que les écrivains et les peintres, de Conrad à Dickens, en passant par Constable et Whistler, qui en ont brossé le portrait. Ce fut le centre commercial de l’Europe pendant 400 ans. Il y a donc une véritable humanité dans le paysage. »
Plusieurs triptyques de grand format figurent dans l’exposition. Kander les a montés comme des retables traditionnels, avec des charnières permettant d’ouvrir et de fermer les panneaux. Mais l’ingénierie s’est avérée problématique, compte tenu du poids des œuvres, si bien que pour l’instant, les oeuvres sont montées ensemble comme trois parties d’un ensemble.
L’un de ces triptyques représente des vols d’oiseaux en formation libre dans les airs, un éparpillement de formes bleu vif, comme des taches de peinture, sur un ciel anglais gris. Un autre triptyque montre un paysage marin, avec les vagues de la Tamise qui s’entrechoquent et s’adoucissent au loin en se fondant dans la ligne d’horizon brumeuse. À première vue, les triptyques semblent être la même image divisée en trois sections, mais Kander, désireux d’être fidèle à la forme, a créé chaque image séparément, prise à quelques instants d’intervalle. « J’aime l’idée qu’il s’agit d’un film, comme s’il y avait du mouvement entre les images », explique Nadav Kander.
Outre les paysages terrestres et marins, le portrait traditionnel constitue une bonne part de l’œuvre de Kander, et ces portraits figurent en bonne place dans l’exposition. Bien que certains nous soient familiers – Rosamund Pike, Barack Obama, David Lynch –, Kander les présente sous des formes nouvelles et inhabituelles. Celui de Rosamund Pike la présente, fixant stoïquement la caméra, alors que les ombres projetées des branches d’un arbre sur son visage et sa poitrine nus donnent à sa peau un aspect translucide, comme si transparaissait le réseau de ses veines.
« Je suis certainement attiré par la périphérie des choses », dit Kander. « Je m’intéresse à ce qui n’est pas tout à fait normal. Je ne supporte pas le courant dominant, dont je me tiens éloigné picturalement, photographiquement. Si ce vers quoi je pointe mon appareil photo semble ordinaire, bien rodé, joli – pour moi, c’est horrible. »
“Nadav Kander : The Thread”, Galerie Howard Greenberg, New York, jusqu’au 17 juin 2022.