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D’un exil à l’autre

Avec l’exposition « Desmemoria », Laetitia Tura tisse des fils entre les récits des réfugiés qui franchissaient hier la frontière franco-espagnole pour fuir le fascisme et ceux d’aujourd’hui, qui suivent le même chemin après avoir parcouru des milliers de kilomètres au péril de leur vie.
Laetitia Tura
« Ce que j’ai vu, ce que je sais. », Le bateau de Youssouf, Perpignan © Laetitia Tura
Laetitia Tura
« Les pierres gardent le secret I – Sant Sebastia », Tronc, Prats de Lluçanets, Catalogne © Laetitia Tura

« Chez moi, on mangeait des calamars en boîte. L’Espagne, mon Espagne, a longtemps été contenue dans ces boites de conserve » écrit la photographe et réalisatrice Laetitia Tura. Son grand-père, Juan, a traversé comme des milliers d’Espagnols la frontière française en 1939. La guerre civile espagnole s’achevait par la victoire des nationalistes et la dictature de Franco.  « Pendant 30 ans d’exil, les échanges avec la famille se résument à quelques cartes postales. Une photo de quatre jeunes hommes prise sur le front, tachetée de merde de mouches, avait dû être accrochée au mur. Comme on ne sait pas grand-chose, on suppose, le parcours s’écrit au conditionnel. »

Dans son exposition « Desmemoria », Laetitia Tura revient sur cet exil et les massacres enfouis des années franquistes. Elle vient combler ce qu’Octavio Alberola, le militant anarchiste espagnol, appelle la desmemoria. « La desmemoria c’est la confiscation de la mémoire, une mémoire mise de côté, en exil d’une certaine façon. Elle peut être provoquée de manière inconsciente ou organisée consciemment par les États. » À travers le parcours d’un homme qui quitte l’Espagne en 1939 après la prise de Barcelone mais aussi des récits de réfugiés espagnols âgés de 80-85 ans et une installation autour d’une équipe d’archéologues qui recherche des restes humains, Laetitia Tura met en scène l’oubli « avec ce qu’il contient de déformation du réel, d’éparpillement des mémoires, des paysages, de la perte de l’histoire orale et enfin de l’effacement des traces » par la vidéo, la photographie, les archives.

Laetitia Tura
« CAMPS », 2012-2019, Camp d’internement de Tarifa (Espagne) © Laetitia Tura
Laetitia Tura
« Ce que j’ai vu, ce que je sais. » Méditerranée, fosse commune, Cerbère © Laetitia Tura
Laetitia Tura
« CAMPS », 2012-2019, Ancien camp d’internement d’Argelès (France) © Laetitia Tura

Face à cette histoire espagnole, l’artiste met en parallèle le parcours des migrants exilés d’aujourd’hui qui tentent d’atteindre l’Europe. Laetitia Tura « matérialise pudiquement avec l’image, les milliers de kilomètres parcourus par Karim, Kassoum ou Sofiane, leurs tentatives de construction entravées par les procédures administratives et judiciaires visant à déterminer leur minorité, la rétention en camps d’internement et les menaces d’expulsion du territoire français. » écrit Bérénice Saliou, la commissaire de l’exposition. D’un exil à l’autre, l’artiste « pointe ainsi un bégaiement de l’Histoire et illustre symboliquement le glissement de la figure de “l’indésirable” contre lesquels se mobilisent les mouvements identitaires et fascistes. »

« Desmemoria » par Laetitia Tura, commissaire d’exposition : Bérénice Saliou, Pavillon Carré de Baudouin, 121 rue de Ménilmontant, Paris XXe, jusqu’au 2 juillet 2022.

Laetitia Tura
« Ils me laissent l’exil » – « Les Républicains espagnols (2011-2016) » – Pedro Peralta

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