Créateur du look « Ghetto Fabulous », Jamil GS nous offre ici une chronique fascinante du hip-hop, du street style et de la haute couture depuis le début des années 1990. Qu’il s’agisse de photographier Mary J. Blige, Outkast, A Tribe Called Quest ou Foxy Brown, ou encore de choisir dans la rue des modèles multiculturels pour réaliser des shootings à New York, Miami et Los Angeles, le travail de Jamil GS a contribué à façonner l’image de la musique et de la culture hip-hop.
Issu des fins fonds du Bronx, le hip-hop est devenu, en 50 ans, une industrie mondiale qui pèse un milliard de dollars. Bien qu’il ait basculé dans la pop, ce genre musical se réinvente continuellement, du point de vue sonore aussi bien que visuel. Il captive depuis toujours l’imagination du public, et la photographie est un espace où les musiciens et les artistes collaborent à son rayonnement.
A travers l’exposition « Hip Hop : Conscious Unconscious » à Fotografiska à New York, le commissaire Sacha Jenkins retrace l’histoire foisonnante de genre musical, de ses débuts à son ascension sur la scène internationale. Cette exposition rassemble le travail de 60 photographes, dont Jamel Shabazz, Janette Beckman, Joe Conzo, Martha Cooper , Charlie Ahearn et Sophie Bramly, et offre un regard fascinant sur la contribution de la photographie à l’expression de cette culture.
« Le hip-hop, c’est aller de l’avant, briser les frontières, faire autrement les choses, entreprendre et se révolter », explique Jamil GS, dont sont exposés les portraits de Trina, Juvenile, Drake, Raekwon et Ghostface. « Les règles, les traditions, cela ne m’intéresse pas. Je veux m’y prendre à ma manière. C’est ma façon de voir : rester fidèle à soi-même, à son métier et à ses choix de vie. »
Inspiration
Né à Copenhague en 1971, Jamil GS est le fils de Sahib Shihab, l’un des fondateurs du bebop, et de Maiken Gulmann. Dans les années 1980, à treize ans, il tombe amoureux du hip-hop et se perfectionne en breakdance. Il est impliqué dans des rixes, des casses, il tague les murs – jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter, à seize ans, et décide de changer de vie.
Son énergie créatrice, il la canalise alors dans la photographie, mêlant la culture pop, la mode et les références aux beaux-arts dans son travail. Il s’inspire également des dessins animés, des bandes dessinées de super-héros ou des magazines de mode de son enfance, tout autant que de la communauté d’artistes florissante qui l’environne.
« Quand mes parents écoutaient des disques, ils laissaient les pochettes bien en évidence, c’était elles qui me guidaient quand je cherchais un album dans leur collection, elles faisaient partie de ma vie », raconte Jamil GS. « La couverture d’un album est la porte d’entrée dans un univers, elle est donc centrale. À l’époque du bebop, les jazzmen avaient toujours l’air dignes et intelligents. Quand j’ai commencé mon travail, j’avais en tête ces images classiques. Chaque cliché doit être autonome, comme l’est la couverture d’un disque. »
Une immersion dans la musique
En 1989, le photographe s’installe à New York, la ville natale de son père. Musicien de jazz et ancien élève du réputé conservatoire Julliard, Sahib Shihab se produit sur scène avec des légendes de la musique telles que Thelonious Monk, Charlie Parker, John Coltrane et Miles Davis. Le père aussi à l’époque est un photographe amateur.
Cette passion de Jamil GS pour le hip-hop lui ouvre de nouveaux horizons. « New York était la Mecque pour moi », avoue le photographe qui n’a cessé d’arpenter les rues en écoutant les derniers albums, compilations et émissions de radio dans son Walkman Sony. « Je me déplaçais dans une atmosphère de musique. Je sortais tous les soirs, j’allais dans les clubs, les fêtes, dans des concerts, et j’étais entouré d’artistes talentueux en devenir. Le dimanche, on pouvait assister à des jams à Tompkins Square Park. KRS-One se produisait là-bas et invitait les gens à participer. »
Issu du bebop, immergé dans le hip-hop, Jamil GS est embauché par le label indépendant Payday Records, qui lui confie le shooting d’un MC de Brooklyn inconnu à l’époque, un certain Jay Z. Ils font une virée à Battery Park City, grimpent sur le pont du yacht d’un inconnu, et Jamil réalise une série de photographies évoquant l’ambition, le luxe et la richesse, qui se révèlera prophétique.
En hommage à des valeurs
En septembre 1994, le magazine i-D publie des portraits de Russell Simmons et Chuck D réalisés par Jamil GS, dans un numéro consacré au style de rue international. Après 20 ans d’underground, le hip-hop dépasse alors le simple phénomène de mode. Le rédacteur en chef de l’époque, Edward Enninful, comprend que le phénomène dépasse la musique, qu’il est un genre mêlant l’art, la danse, la poésie, la performance, la mode, la photographie, la philosophie et la recherche linguistique : en somme, une culture.
« Le hip-hop était partout présent dans les rues, les clubs, et les magazines ont dû rattraper leur retard », explique Jamil GS. « Le hip-hop était tout pour moi, donc je voulais m’assurer qu’il était bien représenté. J’ai toujours dépassé mon budget, et j’ai dû investir mon propre argent et mes propres ressources pour être à la hauteur de ce que je voulais faire. Je n’étais pas seulement là pour prendre des photos. J’étais là pour faire entrer quelque chose dans l’histoire. »
Et c’est ce qu’il fait. Créant le look devenu célèbre sous le nom de « Ghetto Fabulous » pour des magazines tels que The Face, Trace ou Vibe, Jamil GS réalise des shootings de mode avec des artistes et des mannequins recrutés dans la rue. Combinant les tendances locales les plus en vogue de Brooklyn, du Bronx, de Harlem, du Queens ou de Kingston (Jamaïque) avec les dernières collections de prêt-à-porter de Paris, Milan et Londres, Jamil GS donne de la haute couture une image faite de sensualité, de glamour et d’insouciance.
« Chaque fois que je photographie des gens, je fais vraiment des portraits d’eux – je trouve tant de beauté à New York, dans les rues, chez mes amis et les gens de ma famille », confie l’artiste. « La mode n’illustre pas cela, elle est très eurocentrée, et il faut innover. Il y a une lacune à combler. »
L’exposition« Hip Hop: Conscious, Unconscious » est présentée jusqu’au 21 mai 2023 à Fotografiska New York.