Quand l’appareil photo parvient dans les mains d’un enfant, il en ressort parfois un intérêt prometteur, la trace d’un désir nouveau et qui pourrait grandir. C’est peut-être le signe qu’un destin de photographe chemine en lui et ses premières photographies peuvent même devenir la matière première de son futur travail.
C’est le joli récit que l’on peut raconter de la vie d’Eliot Porter (1901-1990). Dès ses dix ans, muni d’un appareil photo de la marque Brownie, il se prend d’une envie croissante de photographier les oiseaux qui peuplent les arbres d’une petite île que son père a acheté dans le Maine aux États-Unis. Un terrain formidable pour l’enfant qui expérimente les possibilités de la photographie et se découvre la passion de représenter la nature par l’image.


Stieglitz
En grandissant, pourtant, il fera d’abord des études en génie chimique et en médecine à l’université d’Harvard. Il se lancera à la fin des années 1920 dans la recherche en biochimie avant d’éprouver vivement le désir de revenir à ses amours premières : les oiseaux et la photographie. Encouragé par son frère qui est peintre, il acquiert un Leica et commence à entamer ce qui sera l’œuvre de sa vie : des clichés subtils et puissants de la nature américaine.
Nous sommes au début des années 1930. Eliot Porter admire alors beaucoup le photographe Ansel Adams dont il se nourrit et il parvient à rencontrer un autre confrère, Alfred Stieglitz, alors quelque peu célèbre et galeriste. Ce dernier va le pousser encore à s’adonner à la photographie en organisant une exposition dans sa galerie sur le sujet des oiseaux. En 1941, Eliot Porter décroche une importante bourse de la fondation Guggenheim qui va parachever son retour à la photographie.

Automne
Ce qui est alors une révolution pour l’époque, c’est le fait qu’Eliot Porter utilise des pellicules Kodachrome qui sont entrées dans le marché en 1935 et permettent de photographier en couleur. Dans la photographie d’art, la couleur est encore proscrite. Elle viendra d’ailleurs beaucoup plus tard, mais chez Porter elle est présente dès le début des années 1940. Peut-être le fait que son sujet principal soit la nature fait davantage accepter son utilisation de la couleur ?
Dans tous les cas, la couleur lui permet de révéler la beauté profonde de la nature. Qu’il dresse le portrait de grands arbres aux feuilles d’automne jaunissantes ou qu’il saisisse l’envol d’une Talève violacée – imposant oiseau d’Amérique du Nord – Eliot Porter sait attraper les pigments qui font la splendeur du monde. Pour les oiseaux, il avait cependant besoin d’un matériel complexe, fait de flashs, d’un trépied et de leurres. Il installait tout cela près des nids, afin de capter les oisillons et leurs mères, l’un des sujets privilégiés de Porter.
Et puis, il y avait les heures à passer à chercher les nids d’oiseaux. Il faut s’imaginer le photographe comme un chercheur d’or, à s’engouffrer dans le lointain, dans des terrains difficiles d’accès. « Le chercheur de nid doit aller dans les champs et les bois avec l’esprit aiguisé sur le fil du rasoir, avec tous ses sens en éveil, et avec l’esprit libéré des distractions et des préoccupations qui pèsent sur la société qu’il a temporairement laissée derrière lui. », disait d’ailleurs Porter.




Par Jean-Baptiste Gauvin
Les oiseaux d’Eliot Porter
Du 4 janvier au 10 mai 2020
Amon Carter Museum of American Art, 3501 Camp Bowie Blvd, Fort Worth, TX 76107, United States