Durant l’été 2013, la ville de Baltimore a connu une recrudescence des homicides : 235 ont été enregistrés, contre 219 l’année précédente. À l’époque, ce chiffre a contredit les tendances régionales et nationales, et des manifestants sont descendus dans la rue pour protéger leurs quartiers, où la police leur semblait inefficace.
« Ça doit être la pire zone de Baltimore, la plus violente. Et la police ne fait rien. Ils se contentent de circuler en voiture. On peut les appeler un million de fois et ils n’interviennent pas », rapportait Sakinah DeGross en 2013, une habitante de Baltimore vivant dans l’un de ces quartiers de la principale ville du Maryland située au Nord de Washington D.C..
Portant l’indignation à son comble, Tyrone West, un Afro-Américain de 44 ans, a été frappé à mort par la police après avoir fui un contrôle de routine, cet été-là, incitant sa sœur à engager des démarches contre le département de police au nom de sa famille.
Le photojournaliste J.M. Giordano a documenté les événements liés à cette recrudescence des homicides. « Je sentais que trop peu de gens dans la ville comprenaient vraiment ce qui se passait, ou qu’ils ne sentaient pas vraiment concernés. Pour la plupart, les victimes de la violence armée étaient des chiffres ou de brèves informations dans les actualités locales. J’ai voulu les sensibiliser. J’ai contacté The Baltimore City Paper, qui n’existe plus aujourd’hui, pour publier une série intitulée ‘Summer of The Gun’ censée être un mélange d’entretiens avec les proches des victimes et de clichés pris sur les scènes du crime, partout dans la ville. »
Giordano réalise ses premières photographies alors qu’il est encore au lycée, et il continue pendant son service militaire. « J’ai vraiment commencé le travail documentaire à plein temps avec cette série. Je suis fortement influencé par le travail de Gilles Peress, Paolo Pellegrin, Roy DeCarava, Eugene Smith, Daido Moriyama et Masahisa Fukase. Beaucoup de ces noms sont assez clichés, mais chacun m’a influencé à sa manière. La granulation des photographes japonais, la lumière de DeCarava et Smith, la fragmentation du cadre par Peress et Pellegrin sont essentielles dans mon travail. »
Pendant ces 10 ans de travail, Giordano a suivi plusieurs groupes de militants qui se sont formés pour protester contre la violence et l’inaction de la police. Il a été invité à des marches et des manifestations et a documenté le mouvement à mesure qu’il se développait. Il a même été invité à des funérailles, car certains proches estimaient que les médias ne s’intéressaient pas aux familles des victimes.
Parmi ces groupes, le Baltimore Peace Movement, autrefois connu sous le nom de Baltimore Ceasefire 365, a défilé dans la ville lors de la 300 Man March et programme régulièrement, depuis, des événements appelés Peace Promise Weekend. Lasses de voir la violence armée de la ville leur prendre leurs enfants, les femmes de Moms Demand Action ont aussi organisé des rassemblements et des marches. Et des médiateurs de Baltimore Safe Streets, appelés « intercepteurs de violence », frappaient aux portes pour tenter d’endiguer la violence armée, ce qui a coûté la vie à certains, mais aussi porté ses fruits selon un rapport des chercheurs de l’université John-Hopkins.
« J’ai suivi ces groupes pendant une décennie. L’année dernière, en parcourant mes archives, j’ai reconnu des visages de gens que j’avais photographiés en 2013, et qui militaient encore aujourd’hui. Mes photos qui sont reproduites dans le livre, ainsi que des textes de membres de divers mouvements, forment un récit linéaire entre 2013 et 2023. L’une des images montre un jeune, Brandon Scott, co-fondateur du mouvement 300 Man March. Il est aujourd’hui maire de Baltimore. »
Après 10 ans de travail sur le projet, Giordano continue de couvrir l’histoire, mais il est à présent missionné pour cela. Il espère qu’un jeune photographe reprendra le flambeau et poursuivra ce qu’il a entrepris. Il espère aussi que le livre changera le regard des gens sur la violence armée, sur ceux qui luttent contre elles, ainsi que sur les victimes.
« Il faut un peu plus d’empathie pour les victimes de la violence armée dans nos villes. Peut-être réfléchir un peu avant de laisser un commentaire banal ou insensible sur les médias sociaux, et s’intéresser vraiment au travail que font au quotidien nos militants anti-armes à feu dans ces communautés. »
13-23 est disponible via Nighted Life Press sur leur site web.
Les bénéfices générés par les ventes du livre iront au Baltimore Peace Movement, une organisation permettant aux membres de la communauté de se soutenir mutuellement, de travailler ensemble et de partager des ressources dans le but de promouvoir la joie, l’amour et la paix dans la ville.