Dans les années 1980, les hommes américains se laissent pousser les cheveux, portent des pantalons en spandex et des crop tops, soulignent leurs yeux par un trait de khôl et jouent dans des groupes de heavy metal – sans aucune gêne de voir leur masculinité ou leur orientation sexuelle remise en question. Ils se déchaînent, se contorsionnent au rythme d’une musique chantant la destruction et l’amour, déplorent la tristesse de l’existence tout en sillonnant le pays dans l’espoir de décrocher des contrats auprès des maisons de disques et d’attirer des groupies.
S’inspirant de groupes de rock de la fin des années 1960 tels que Led Zeppelin, Black Sabbath et Deep Purple ainsi que de groupes des années 1970, notamment Judas Priest, Van Halen et Kiss, une nouvelle génération de guitar heroes issus de la classe ouvrière a résolument opté pour la vitesse, les basses profondes et les riffs complexes, afin de hurler leur rage angoissée contre la grande machine qui nous contrôle, nous autres individus.
Le heavy metal : un mélange habile d’androgynie, de machisme et d’iconographie anti-chrétienne, un rock’n’roll où triomphe le sexe et le look. Il devient la voix de la rébellion dans l’Amérique de Reagan. Et l’énergie lugubre et souvent démoniaque de ces groupes alimente les cauchemars des intégristes quant aux abus sexuels rituels.
Tandis qu’on accuse ces groupes, un peu partout dans le pays, de cannibalisme occulte, de meurtre d’enfants, de torture et d’inceste, les libéraux aussi bien que les conservateurs entrent dans la mêlée, utilisant leur pouvoir pour persécuter les musiciens en utilisant la couverture du Parents Music Resource Center (PMRC). On dresse alors une liste, surnommée The Filthy Fifteen, stigmatisant des artistes populaires tels que Prince et Madonna pour des paroles de chansons à caractère sexuel.
Mais les censeurs harcèlent avant tout les meilleurs groupes de heavy metal tels que Mötley Crüe, Twisted Siter, W.A.S.P., Black Sabbath et Venom. S’inspirant de la Peur rouge déclenchée par le sénateur Joseph McCarthy dans les années 1950 pour éradiquer le communisme, le PMRC organise des audiences au Sénat dans l’espoir d’enfreindre le premier amendement de la Constitution.
La Recording Industry Association of America fait finalement une concession : apposer des étiquettes « Parental Advisory » sur certains albums – ce qui ridiculise tous les efforts du PMRC. Les groupes de heavy metal ont encore de beaux jours devant eux. Des artistes tels que Metallica, Iron Maiden et Guns N’Roses deviennent des méga-stars, et le genre se réinvente continuellement, s’incarnant dans le black metal, le doom metal et le death metal.
La censure est matée.
Réveil brutal
Bien que certains groupes de heavy metal soient devenus des superstars, la plupart ne l’ont pas fait. Mais cela ne les a pas empêchés de suivre la voie D.I.Y. tracée par les groupes punk : s’entraîner dans le garage, sortir des albums indépendants, et organiser eux-mêmes des tournées locales.
Avec son livre, Heroes of the Metal Underground : The Definitive Guide to 1980s American Independent Metal Bands, l’auteur Alexanro Anesiados dresse le portrait de groupes américains qui n’ont peut-être pas accédé au Top 50, mais qui ont atteint la célébrité dans leur ville natale. L’ouvrage va de l’une à l’autre, présentant un instantané de l’époque dans toute sa splendeur méconnue, un éventail éblouissant de groupes aux noms provocateurs tels que Murder Suite, Diamond Claw, Heathen’s Rage, Savage Thrust, Kryst the Conqueror, ou encore Rude Awakening.
Bien que Heroes of the Metal Underground soit centré sur la musique, le rôle de la photographie ne peut être nié car les groupes ont pris grand soin d’utiliser les pochettes d’album pour façonner leur image publique. À une époque où les hommes portaient avec audace les cheveux longs, maquillaient leurs yeux et arboraient des vêtements étriqués au risque de ne plus être appelés des hommes, la pochette des albums devenait un support où afficher le plaisir que l’on avait à bafouer les règles de la société policée.
Dans ces images règnent le cuir, le denim, les imprimés animaliers, les lunettes d’aviateur, le satin moulant et les chaussettes tombantes, le tout généreusement épicé d’iconographie médiévale, viking et démoniaque. Comme la musique, l’œuvre d’art est D.I.Y., mais cela ne fait qu’ajouter à l’authenticité du message lui-même. La liberté et la rébellion vont de pair avec le pouvoir de l’imagination, qui n’exige rien de moins que le rejet de toute convention. Les pochettes des albums font entrevoir le royaume des anti-héros, qui nous invitent à leur suite dans leur quête. Le fait que ces images soient brutes et stylisées ajoute encore à leur attrait.
« Voyez un peu ces pochettes d’albums fantastiques, dans les années 1980 !!! », déclare Elias Chatzialexis, propriétaire de l’une des plus grandes collections privées au monde de disques de heavy metal. « Nous ne collectionnons pas les timbres, je comprends bien, mais si un disque est à la fois une musique épique ET une pochette fantastique, c’est le rêve éveillé d’un collectionneur de metal américain. »
Heroes of the Metal Underground : The Definitive Guide to 1980s American Independent Metal Bands, éd. Feral House, 42,95 $