Envisager la misère: Le portrait pour interpeller et sensibiliser
De la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont été un véritable foyer pour les développements de la photographie. Elle a alors pris un tournant social et engagé qui était jusqu’alors plus timide, et a nourri un véritable « tradition » documentaire. À considérer le rôle du portrait dans ces pratiques de sensibilisation et ces velléités de réforme sociale, le photographe Jacob Riis (1849-1914) constitue un point de départ important. Originaire du Danemark, il développe dans les années 1880 des campagnes photographiques dans les quartiers malfamés de New York. En brossant le portrait de ces quartiers, il cherche à montrer « comment vit l’autre moitié » (ce sera le titre d’une de ses publications) : ceux qu’on ne voit pas, qui n’ont pas de visage, mais qui inquiète la population bourgeoise, réunie dans les beaux quartiers de la ville. Riis, postulant que la condition de la population misérable la confine au crime, cherche à sensibiliser afin de susciter des réactions en matière de politique publique. C’est notamment en présentant des portraits, pris à la volée avec un flash magnésique très brutal, ou en rémunérant des indigents dans leur lieu de vie vétuste, qu’il cherche à susciter la peur et la réaction. Le texte associé à l’image joue un rôle de connotation, apportant anecdotes et données objectives comme les adresses des lieux photographiés. Le portrait cherche ici moins à traduire l’identité d’un individu qu’à lui faire incarner un type, dont la société doit s’occuper pour s’en protéger.
En matière d’engagement social, les différentes stratégies adoptées successivement par le photographe américain Lewis Wickes Hine (1874-1940) sont riches d’enseignement. Initialement formé à la sociologie, il associe l’appareil photographique à sa pratique d’enquête dès 1904 pour photographier les immigrants débarqués à Ellis Island, où ceux-ci sont placés en quarantaine avant leur entrée sur le territoire américain. Hine cherche à montrer que ces migrants ne sont pas dangereux, contrairement à l’idée dominante dans l’opinion publique. Il va alors chercher à jouer une corde sensible, notamment en adoptant des codes iconographiques propre à l’histoire de l’art occidental. C’est donc en madone à l’enfant qu’il représente une immigrée italienne, baignant dans une lumière qui semble tomber du ciel, tout en l’inscrivant dans son contexte, dans la mesure où l’arrière-plan laisse entrevoir les conditions de détention des immigrants. À cette stratégie visuelle, il associe, comme tout sociologue le ferait, des éléments textuels. Ceux-ci ne se contentent pas de donner des informations « objectives » (identité et âge par exemple, comme le ferait une fiche policière) mais travaillent aussi sur le mode de la sensibilisation.
L’image devient littéralement un prétexte au texte, elle est le point de départ d’un commentaire sur une situation sociale. Cette pratique de portrait va ensuite évoluer lorsqu’en 1908, Hine se met à documenter le travail infantile illégal. Dans la hâte, il pénètre donc discrètement ces lieux, photographie des enfants au travail dans un style alors beaucoup plus direct, tout en cherchant à montrer l’espace de travail de l’enfant portraituré. Ici, le but est moins de provoquer un attendrissement du spectateur que d’apporter la preuve formelle qu’en tel endroit et à tel moment, tel patron force tels enfants au travail. Peu importe, donc, que ces images soient bien composées, ni que les conditions de prises de vues ne soient pas idéales : il s’agit d’incarner par un visage inscrit dans un lieu la condition misérable des enfants qui travaillent. Deux décennies plus tard, Hine réinvente à nouveau son registre pour documenter le travail des ouvriers américains, qu’ils soient à l’usine où affairés à la construction de l’Empire State Building, images particulièrement célèbres. Il cherche à redonner une visibilité à ceux qui usent leurs corps au travail pour servir la machine économique. C’est donc par une série de portraits héroïsants, aux points de vue impressionnants, que le photographe rend à ces ouvriers la valeur de leur travail et leur rôle dans la transformation économique de leur pays.
Les deux décennies suivantes sont le théâtre d’un intense développement de la photographie documentaire. On le doit notamment à la mission photographique de la Farm Security Administration, créée en 1935, dont le directeur est Roy Stryker, qui parvient à recruter celles et ceux qui s’affirmeront comme les documentaristes les plus importants. La mission a pour but de documenter la vie des fermiers américains, touchés de plein fouet par la Grande Dépression. Deux des photographes missionnés se sont démarqués par la pertinence de leurs propositions et par la fortune critique que leurs images ont suscitées.
La première, Dorothea Lange (1895-1965) est l’auteure d’un portrait connu de tous et intitulé Migrant Mother. Sélectionné parmi une série, il représente Florence Owens Thompson qui, comme nombre de ses semblables, tente de retrouver un logement et du travail suite au gel qui a ruiné ses champs de culture. Dans le temps de la prise de vue, Lange consigne quelques informations, pratique qu’elle tire de ses débuts de photographe et de son association avec son mari, le sociologue Paul Taylor. Par la représentation de cette femme au visage buriné et au regard inquiet, ses enfants se réfugiant dans sa nuque, Lange cherche à interpeller le spectateur quant à la cause de ces fermiers dépossédés de toutes leurs ressources. Le visage doit trahir la déchéance qu’ils doivent affronter et l’incertitude quant à leur avenir. Cette stratégie portera largement ses fruits, dans la mesure où cette image est l’une des plus diffusées de l’histoire de la photographie, devant le symbole même de la lutte des paysans américains pendant la Grande Dépression.
Si le second, Walker Evans (1903-1975), use lui aussi du portrait dans sa pratique documentaire, c’est cependant dans un autre cadre intellectuel. Evans, au sein de la FSA, cultive une attitude de tête brûlée. Il rechigne souvent à remettre ses négatifs et, loin de se présenter comme un sociologue, profite plutôt de la mission pour nourrir une réflexion sur la photographie documentaire elle-même. À l’été 1936, produit notamment une série de portraits d’une famille de métayers, dont deux demeurent très célèbres : ceux de la femme Allie Mae Burroughs et du mari Floyd Burroughs. Mais Evans ne cherche pas ici l’objectivité biographique, ni ne tente de raconter une histoire personnelle. Ces portraits vont au contraire servir à camper le décor d’un récit écrit par l’écrivain James Agee. Ils seront en effet publiés avec le livre Louons maintenant les grands hommes, fiction sur la condition paysanne américaine élaborée à partir d’éléments documentaires. Ancrés au début de l’ouvrage, sans aucune légende, ils œuvrent comme des visages qui doivent incarner tout une condition sociale, partagée par des milliers d’autres paysans. Ainsi, le regard des modèles – pourtant individuel – interpelle le spectateur pour l’éveiller à une histoire sociale partagée plutôt qu’à une histoire personnelle.
En Europe, l’engagement des photographes s’affirme surtout par l’imprimé. Affilié à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, Henri Cartier-Bresson (1908-2004) cherche dans les années 1930 à défendre la cause ouvrière internationale par la photographie. Il multiplie ainsi les reportages pour la presse communiste. De ses voyages au Mexique et aux États-Unis, il ramène des visages de la misère, pris à même la rue, tandis qu’en France, il documente les activités du mouvement ouvrier, avec des portraits qui chantent la joie du vivre-ensemble.
C’est surtout dans l’après-guerre qu’un rapport psychologique sera introduit de manière plus évidente dans le portrait social. Dans les années 1950, principalement en France, le Néerlandais Ed van der Elsken (1925-1990) nourrit une approche très personnelle de la photographie documentaire, moins centrée sur des problématiques sociales spécifiques que sur les antagonismes généralisés. Elsken ne produit pas véritablement de reportage sur un sujet donné, il propose plutôt une documentation au long cours sur groupes sociaux mal considérés. S’intéressant principalement à la rue, à la nuit et aux marginaux, il développe une écriture lyrique profondément centrée sur le personnage en tant qu’individu social. Ses portraits nomment expressément les modèles pour leur conférer l’humanité qu’on leur refuse, subliment leur beauté désinvolte par le gros plan ou cherchent l’insolite pour attendrir. La plupart de ces modèles sont ses amis et partagent sa vie ; en leur redonnant une visibilité, Ed van der Elsken les accompagne dans leur existence et dans leur reconnaissance par le monde bourgeois dominant.
Les années 1960 à 1990 sont plus fermement marquées par la défense de certaines catégories de la population sous-représentées. Aux État-Unis, Mary Ellen Mark (1940-2015) multiplie les reportages pour y documenter le mode de vie des marginaux. Privilégiant la plupart du temps un objectif grand-angle, elle cherche à inscrire son sujet dans un contexte tout en instaurant une impression de proximité, comme dans ce double portrait qui invite le spectateur à considérer l’ennui qui peut régner dans des zones marginales comme Harlem. Il s’agit de réinscrire ces personnes dans l’espace social auquel elles appartiennent tout en centrant le regard sur elle.
En somme, de tels portraits invitent à remettre la marge au centre, reconfigurant ainsi, le temps d’une image, la cartographie sociale et politique. Carrie Mae Weems (1953-), dans The Kitchen Table Series, série de portraits très personnels et intimes, livre ses interrogations sur la condition des Noirs en Amérique du Nord. Toujours réalisés dans le cadre familial, autour de la table à dîner, ils traduisent les inquiétudes auxquelles l’artiste se confronte au quotidien : racisme, sexisme, privation d’identité et réduction de l’existence dans la société. Elle répond à ces questionnements par l’autoportrait, reprenant ainsi les rênes de sa propre représentation.
Le choix de l’autoportrait s’avère aussi décisif dans la lutte pour la reconnaissance des homosexuels et du fléau qui les frappe, le SIDA. Robert Mapplethorpe (1946-1989), figure du milieu artistique homosexuel new-yorkais des années 1980, se lance dans une œuvre érotiquement chargée, qu’il qualifiera lui-même de « pornographique ». Majoritairement en noir et blanc, à l’éclairage et aux compositions parfaitement soignés, ses portraits célèbrent son milieu. Dans sa manière de représenter des corps masculins, dans la tradition du nu, Mapplethorpe se montre audacieux. En choquant, Mapplethorpe souhaite sensibiliser. Il en va de même avec le travail du photographe Larry Clark (1943-), qui quant à lui documente la vie de la jeunesse dès les années 1970, avec un intérêt marqué pour les ravages de la drogue. C’est cependant un regard empli d’empathie qu’il pose sur son sujet, interpellant la part humaine du spectateur qui doit alors s’interroger sur les raisons et les conséquences de ces problèmes. En mettant en avant sa proximité avec le sujet, Clark place le spectateur dans un régime de tolérance.
Les formes du portrait social et engagé varient donc librement, au gré du projet que se donne le photographe et en fonction des stratégies envisagées pour montrer ses images. Mais il a toujours pour but de placer l’humain et ce qu’il subit afin de susciter l’émotion chez le spectateur et d’engager par la suite une action. Dans le champ du documentaire engagé, le portrait est ainsi garant d’une charge émotive qui répond à l’objectif de réforme de la société.
La communauté des individus: Le portrait de société
En prenant la société pour objet d’étude et de représentation, la photographie a aussi vu évoluer le projet documentaire. Comme le soulignait le conservateur du MoMA de New York John Szarkowski lors d’une exposition intitulée « New Documents » en 1967, certains photographes ne cherchent pas à « réformer » la société mais à la « connaître ».
Il en va ainsi du célèbre corpus de photographies alimenté par Eugène Atget (1857-1927) pendant une trentaine d’années. Souhaitant proposer une documentation quasi-exhaustive sur Paris, celui-ci s’est notamment penché sur les « petits métiers ». Le protocole est toujours le même : Atget montre son sujet en pied, inscrit dans son contexte qui est toujours la rue parisienne. Chiffonniers, marchands de panier et fleuristes cohabitent dans les albums montés par le photographe, incarnant des repères humains que l’on retrouve fréquemment dans l’espace urbain du XIXe siècle.
On retrouve une intention similaire, quoique différente, chez le photographe allemand August Sander (1876-1964), qui s’est lui aussi évertué à vouloir donner une image de la société de son pays et de son temps, mais seulement à partir de ses protagonistes, contrairement à Atget qui documentait aussi lieux et ornements. Sander multiplie ainsi les portraits en buste ou en pieds, inscrivant ses figures dans leur espace quotidien, cela permettant notamment d’indiquer un statut social dont le vêtement se fait aussi un signe. Sander finissait par classer en albums ces figures, comme pour reproduire l’ordre social qu’il cherchait à représenter.
C’est avec une écriture beaucoup plus libre que Robert Frank (1924-2019), photographe suisse, propose dans son livre The Americans (1958) un portrait social des États-Unis. Avec le livre, Frank impose une véritable révolution dans la représentation photographique de la société. Privilégiant les points de vue subjectifs et tirant profit de l’agitation visuelle permanente qui se joue devant lui, Frank donne à voir sans différenciation les classes les plus basses jusqu’aux plus hautes de la société américaine. Les sujets sont pris dans leurs occupations et leurs pensées, captant de temps à autre l’objectif qui les saisit. Ce sont souvent des portraits multiples, qui tendent à exprimer la nature des relations sociales dans une société où se développent les loisirs et où l’espace public devient une scène.
Diane Arbus (1923-1971), exposée parmi les « New Documents » au MoMA en 1967, s’intéresse quant à elle à un tout autre genre de scène. Formée à la New School for Social Research à New York, elle privilégie dès 1962 le format 6×6, carré, et un usage d’un flash intense de nuit comme de jour, qui sera sa marque de fabrique. Diane Arbus s’applique à produire des portraits de personnages surprenants, souvent peu visibles dans l’espace social car à la marge. Les portraits d’Arbus, empreints d’une grande attention pour leurs sujets : géants, nains, bandits, travestis, jumelles et handicapés mentaux trouvent tous, dans ses séries, une place que la société résiste normalement à leur offrir.
À la même époque, le grand coloriste William Eggleston (1939-) commence lui aussi à dresser un portrait social des États-Unis. Cherchant à capter l’essence du régime démocratique, il construit, à côté de nombreuses natures mortes et de paysages, une série de portraits éloquents. Souvent pris sur le vif, parfois posés, ils montrent des figures dans un environnement relativement calme et vide. Eggleston donne à voir un paysage social où les citoyens semblent devoir toujours composer avec des possibilités limitées, tentant de se satisfaire du peu que leur offrent les banlieues américaines.
Sur un tout autre registre, Martin Parr (1952-), photographe britannique, s’intéresse quant à lui aux classes populaires, notamment dans ce qu’elles sont devenues à l’issue de plusieurs décennies de transformation profonde de la société après la Seconde Guerre mondiale. Se concentrant particulièrement sur le tourisme et les loisirs bon marché, Parr livre un portrait drolatique mais sans concession de la Grande-Bretagne des masses : bronzages exagérés, tenues hautes en couleur et glaces fondues sont au rendez-vous dans ces portraits, qui restent cependant emplis de tendresse envers leur sujet. Plutôt que de proposer une critique de l’ordre social, Parr semble louer l’inventivité, la liberté et la joie de ceux qui possèdent le moins.
À ce modèle, on peut par exemple opposer celui des images de Philip-Lorca diCorcia (1951-), qui tente quant à lui de donner une image de la solitude dans la ville. À l’aide d’un flash puissant et d’un téléobjectif, il se tient à distance d’un modèle choisi au gré du flux des passants, qu’il isole à la prise de vue. Le flash permet de ne retenir la lumière que sur le modèle choisi, tandis que le téléobjectif autorise à le saisir sans être débusqué tout en resserrant le cadre sur le visage. Ce travail contraste avec ses habitudes, qui consistent plutôt à faire poser le modèle dans son environnement, parfois contre une rémunération. Quoiqu’il en soit, diCorcia représente toujours ses figures comme les acteurs de micro-fictions, qui proposent un commentaire sur la vie urbaine contemporaine et ses aléas.
Les mille visages du portrait
On l’aura compris, le portrait photographie connaît un renouvellement permanent en fonction des usages qu’on lui confère. D’un usage à l’autre, les formes circulent, se modulent, se répètent. Le portrait est cependant toujours chargé d’un questionnement sur ce qu’il représente, à savoir la figure humaine. Présentée comme une énigme, laissant toujours un doute sur ce que l’on voit ou ce que l’on peut voir vraiment, l’image de l’homme soulève de nombreux questionnements. Dans le champ de la photographie contemporaine, le genre du portrait a suscité de nombreuses investigations artistiques qui tentent de mettre au jour ses mécanismes, ses implications idéologiques, les codes culturels qu’il utilise. Pour comprendre ces derniers, l’œuvre d’ORLAN (1947-) est important : dans un travail au long cours sur le corps et les pressions dont il fait l’objet, elle met en question les canons de la beauté occidentale. Jouant avec les possibilités de la photographie, notamment en matière de retouche, elle construit des séries d’autoportraits qui déforment son apparence et propose à la vue un être hybride, sans référent connu. Il y a donc une opposition à charge contre le portrait traditionnel : plutôt que de représenter une identité donnée, il sert alors à travestir l’identité réelle pour en créer une nouvelle. C’est aussi sur ce registre que l’artiste Cindy Sherman (1954-) a construit toute son œuvre. Avec force déguisements et artifices, elle ne cesse de renouveler son personnage pour se donner une nouvelle identité à chaque autoportrait.
Mais plutôt que de simplement incarner d’autres personnages, elle en grossit les traits par le maquillage, pour livrer une vision grotesque et horrifiante de la représentation de soi dans la civilisation contemporaine. Bien plus que l’autoportrait, Sherman pratique le changement d’identité. Patrick Tosani (1954–), quant à lui, propose d’oublier la dimension visuelle de l’identité. Elle ne subsiste alors que sous la forme de poinçons en Braille dans la série de portraits qu’il réalise en 1985, dans lesquels l’apparence du modèle est complètement occultée par un important flou, et remplacée par un langage dont la lecture n’est pas donnée à tous.
Nombreux sont les artistes qui depuis les années 1970 ont mis en question les formes et les usages du portrait, témoignant de sa richesse comme des problématiques qu’il porte en lui. Cela donne au moins une certitude à retenir quant au portrait photographique : ses possibilités sont infinies, car il y autant de portraits possibles que d’individus, mais chaque individu peut lui aussi avoir mille visages. En somme, le genre du portrait est renouvelé chaque fois qu’un visage est photographié.
Guillaume Blanc
Guillaume Blanc est doctorant en histoire de la photographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, enseignant aussi à l’Université catholique de l’Ouest (Angers) et à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Ses travaux récents incluent des publications pour les revues Transbordeur et Image & Narrative.