Yan Morvan en 150 histoires tirées chacune à trois cent exemplaires, voilà la promesse que la maison d’édition et librairie indépendante Battcoop propose autour des images du photographe. Une plongée abyssale dans les Archives Yan Morvan. Des cahiers d’une trentaine de pages où il n’y en a que pour la photographie. En guise de thématique, « guerre, sexe et violence » nous dit Morvan qui a tout vu, tout capturé aux quatre coins du monde. Depuis plus de quarante ans, il photographie les guerres, les gangs et même les rendez-vous érotico-pornographiques. « Je suis curieux, curieux de tout. Tout m’intéresse. »
Morvan a commencé par les révoltés, les gars en cuir, les cailleras d’hier, les « blousons noirs » qui ont fini dans sa première monographie intitulée Le cuir et la baston publiée en 1977 et qui est aujourd’hui introuvable. Morvan étudie les mathématiques mais sa vie est toute tracée. Il est photographe, il sera photographe. Il travaille pour Paris Match, il fait du people, il trouve des scoops, « une époque où il fallait y aller quand on était photographe ». Le Figaro Magazine l’envoie dans le Larzac où se joue un bras de fer entre les paysans et le gouvernement français autour d’un projet d’extension d’un camp militaire. Morvan s’y rend deux fois, une fois pour photographier les paysans, une seconde pour accompagner leur marche historique du Larzac à Paris. Il écrira : « J’accompagnais la marche quelques kilomètres. Je comprends maintenant que c’étaient eux qui représentaient la marche du “vrai progrès” ». De cette histoire, Morvan a sorti un livre en 2021, intitulé Larzac. La première ZAD édité par La Manufacture des livres et dont José Bové (que l’on retrouve sur un tracteur dans les images) a écrit l’introduction bien que Morvan ne soit pas idéologue. Quelques semaines auparavant, il publiait un ouvrage,1981, aux éditions Edisens, sur les années Mitterrand, où l’on peut trouver des textes de Jack Lang, Jean Auroux ou encore Edith Cresson.
Jeune, il était « crypto-situationniste » puis les années sont passées. Il n’était plus de gauche, ni de droite, juste un photographe qui aimait photographier les femmes et les hommes. Les histoires. Ces histoires l’ont mené à traverser le globe et aller à la rencontre des fétichistes, des lépreux, des pèlerins. Il a aussi traversé la France : des Digues de Nice, ces bidonvilles que l’on nous montre peu où l’on parquait les travailleurs immigrés venus d’Afrique, aux squats de Paris et le mouvement punk avec ses soirées au club Le Palace. Mais ce sont les guerres qui le happeront une grande partie de sa carrière. « Je voulais être au milieu de l’Histoire. » Irlande du Nord, Ouganda, Mozambique, Rwanda, Afghanistan, Cambodge, Iran-Irak et la guerre du Liban, qu’il photographiera pendant quatre années dont il a sorti un ouvrage bouleversant, Liban, Chroniques de guerre 1982-1985. Si bouleversant que les personnes qui l’ont vécue cette guerre ont dû mal à en tourner les pages. « J’ai photographié les milices de tous les côtés : les Phalangistes, les Palestiniens, les Druzes… » Il posera une chambre photographique sur la ligne de démarcation qui séparait à Beyrouth, les chrétiens des musulmans. Il prendra des portraits des habitants, des familles, des enfants. Leur désespoir. Leur fierté. Au Liban, Morvan a failli mourir. Une fois. Deux Fois. Au Liban, Morvan a tout vécu. Il nous dit même : « J’ai même sauvé une fois Yasser Arafat ! »
C’est en 1999, lors de la guerre au Kosovo qu’il réalise que le monde n’a plus besoin de lui en tant que photoreporter: « Je raconte toujours cette même histoire mais nous étions plus de cent cinquante photographes agglutinés autour d’une scène, j’en ai eu marre. » Morvan décroche, mais pas vraiment. Il décide de parcourir le monde à nouveau pour photographier les champs de bataille, les lieux de bataille dans un projet au long cours qui finira « dans un ouvrage de douze kilos. » Documenter, puis raconter. De photojournaliste, il est devenu « auteur-photographe », car Morvan s’adapte, il s’adapte à la société qui bouge. La société d’aujourd’hui ? Elle le passionne tout autant. À l’écouter se raconter et raconter le monde on croirait que l’homme a toujours vingt ans, il a la même passion, la même fougue qu’un jeune photographe qui n’en serait qu’à ses débuts et c’est ce qui rend les travaux de l’homme passionnant. « Je rêve de retourner au Liban photographier les habitants aujourd’hui, de me rendre à Kaboul au milieu des Talibans que je connais bien. » Il se rend bientôt dans les cités à Marseille pour photographier les gangs de la ville. Avec Morvan, il n’y a pas de c’était mieux avant. Le monde change et lui avec. Tant que la vie vivra, il la photographiera. Et il l’aimera.
Par Sabyl Ghoussoub
Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.
Les Archives Yan Morvan à retrouver ici. À la librairie Battcoop, 33 Rue Doudeauville, 75018 Paris.
Larzac 1979, Yan Morvan, La Manufacture des livres.
Exposition « Yan Morvan, Champs de bataille », jusqu’au vendredi 15 octobre, Galerie de l’Étrave, Théâtre Maurice Novarina – Thonon