Avec 243 jours de sécheresse prévu en 2050, Arles se classe parmi les villes les plus arides de France dans les prochaines décennies. Une situation qui témoigne de l’état du climat et des bouleversements à venir. Dans une ère de pandémies, de dérèglement climatique, et de crises économiques, cette 54ème édition se veut « solidaire, engagée et responsable », selon les mots de Christophe Wiesner, directeur du festival. Avec une dizaine d’expositions et d’installations dédiées au territoire, la section Géographies du regard fait de l’écologie une problématique centrale.
Un fort ancrage territorial
C’est d’abord la photo documentaire qui sert le discours environnemental. « Ici Près » met en image les effets de l’homme sur la géographie qu’il occupe. À seulement une dizaine de kilomètres d’Arles, Mathieu Asselin enquête sur l’usine Fibre Excellence qui menace l’air, le sol et l’eau. Déjà exposé aux Rencontres en 2017, le photographe y présentait « Monsanto : une enquête photographique », un projet mettant en lumière les effets néfastes du laboratoire Monsanto sur les communautés et l’environnement.
Là où Asselin questionne la responsabilités des entreprises, Sheng-Wen Lo s’intéresse à nos pratiques quotidiennes. Sa série « Attention » illustre l’augmentation de la mortalité de la faune locale due à la vitesse des voitures sur les routes des zones humides. Toujours en territoire arlésien, Tanja Engelberts remonte les berges du Rhône, s’intéressant aux transformations du fleuve face à l’industrialisation du territoire. Les trois projets exposés au Monoprix donnent à voir un Arles bien loin des vernissages et des cocktails.
Trois regards, c’est également ceux d’Iris Millot, Raphaël Lods et Jingyu Cao, étudiants de l’École Nationale Supérieure de la Photographie. Dans « Une attention particulière », chacun développe une problématique qui lui est propre, que ce soit l’impact des technologies, l’architecture ou les récits personnels des humains avec leur milieu. Car l’espace que l’on investit parle toujours de nous. C’est ce que montre l’Atlas des Régions Naturelles, d’Éric Tabuchi et Nelly Monnier. Que ce soit cet escalier à l’abandon couvert de végétation, ou ce restaurant chinois aux allures d’entrepôt revisité, chaque lieu témoigne de nos modes de vie et nos identités. À contre-courant d’une image globalisée, la France triviale prend vie dans « Soleil Gris ».
Cap ensuite sur la Camargue. Cette zone humide du sud-est de la France, connue pour ses chevaux blancs, est un formidable terrain d’expérimentation pour les photographes. Avec « Insolare », le duo d’artistes Eva Nielsen et Marianne Derrien mêlent photo, superpositions d’images sérigraphiées et peinture. Les deux lauréates des BMW art makers rendent compte de l’intensité des phénomènes naturels tels que la sécheresse et la montée des eaux. Une anticipation des conséquences du réchauffement climatique à travers une nature irradiée qui brûle lentement.
En Camargue, il y a aussi le Rhône, sur lequel Anita est amarrée. Anita, c’est une barge fabriquée à partir de détritus, sur laquelle la portraitiste marseillaise Yohanne Lamoulère a vogué pendant près de deux mois, à la découverte d’un fleuve qu’elle avait toujours connu mais jamais remarqué. Les rencontres s’enchaînent. D’abord avec le port, qui refuse d’accueillir les bateaux de croisières et fait le choix de l’hospitalité. Puis avec Sasha et Steve, aux Roches de Condrieu. « Ils représentent pour moi l’utopie du voyage, et la vie non linéaire. », déclare Yohanne Lamoulère. Il y a encore Raymond, qui joue du cor des Alpes, seul en bord de nationale. « Je me suis arrêté pour l’écouter, et je peux vous dire que ça résonne ! ».
Elle les photographie, eux, et tous les habitants du fleuve qui croisent son chemin. Diane Arbus comme référence, elle redonne une place à ces gens « en marge ». Yohanne Lamoulère dit s’inspirer de Paul Fusco, photographiant la foule à bord du train de Kennedy dans sa série « Funeral Train ». Comme lui, elle joue avec la distance, laissant parfois plus d’espace au fleuve, parfois à ses habitants. Ce qui frappe, c’est leur regard, perçant le silence.
Regards sur l’ailleurs
De l’autre côté de l’Atlantique, le péruvien Roberto Huarcaya a entrepris de photographier l’Amazonie vierge. D’abord avec des appareils numériques et analogiques. Mais Roberto Huarcaya déplore la distance imposée par ce matériel, qui n’enregistre que l’épiderme de la jungle. Influencé par Man Ray, Richard Serra ou encore le peintre Édouard Manet, il adopte alors la plus primitive des techniques photographiques : le photogramme. « Ce dont j’avais besoin, c’était de quelque chose qui puisse entrer dans la jungle comme un serpent et qui puisse la toucher, créant ainsi un lien plus étroit et horizontal avec elle, un lien de contact. »
Le lien est direct puisqu’il se sert de l’eau du fleuve pour révéler ses Amazogrammes monumentaux. Muni de rouleaux papier photographique photosensible de de 30 mètres de long sur un mètre de large, de matériel chimique et d’une tente modulable en laboratoire et d’étude, il s’immerge pendant plus d’un an au sein du groupe ethnique local, Los Esejas. « Le dernier jour de travail, le chaman m’a dit “Roberto, nous venons de comprendre ce que tu es venu faire, tu as passé presque deux ans à désapprendre ta culture urbaine et petit à petit tu as commencé à respecter la nature comme un être intégral, et maintenant elle, devant ton respect, a décidé de se montrer dans les cadres pour que tu les montres au monde entier.” » Et le monde entier peut les admirer, suspendues à la Croisière d’Arles.
Toujours à la Croisière, les collages de Maciejka Art font émerger des problématiques entre féminisme et colonialisme et maternité. En dessins et en couleur, l’artiste célèbre la féminité dans tous ses aspects. Sa série « Hoja santa» , « feuille sacrée » en français, est l’histoire d’un voyage au Mexique, sur la Costa Chica. Comme celles de Roberto Huarcaya, les images de Maciejka Art offrent un regard anthropologique sur les cultures traditionnelles qui subsistent face à la mondialisation.
Sur les traces de l’anthropocène
S’interroger sur l’avenir, c’est aussi jeter un œil sur notre passé. Juliette Agnel s’est aventurée là où se nichent le mystère et la magie de nos origines : à l’intérieur de la terre. Exposées aux cryptoportiques de la ville, lieu d’exposition nouvellement investi par festival, les images prennent tout leur sens dans ces galeries souterraines datant de l’Antiquité. On pénètre dans un monde fait de roches, de voûtes et de grottes préhistoriques.
Notre héritage commun n’est pas seulement niché au cœur du noyau terrestre. Il est gravé sur un vinyle d’or en orbite. Le « Golden Record » . Envoyé en 1977 par la Nasa à bord des sondes Voyager 1 et 2, l’objet contient des archives visuelles et sonores censées rendre compte de la civilisation humaine. 90 minutes de musique, des salutations en 55 langues, 116 images et 12 minutes de sons de la Terre, gravitent à quelque 19 milliards de km du soleil, depuis désormais 46 ans. Et si ces ces archives terrestres tombaient dans les mains d’une forme de vie extraterrestre ?
C’est ce qu’a imaginé Garush Melkonyan. Après deux ans de travail, notamment sur les archives du « Golden Record », Cosmovisión voit le jour. Ce film de science-fiction met en scène des extraterrestres découvrant la Terre, avec pour unique guide la représentation offerte par le fameux disque doré. « Ce qui m’a intéressé, c’est que ces documents n’offrent en réalité qu’une vision, partielle et partiale, de notre civilisation. Elle offre une image du monde qui côtoie l’utopie dont l’homme est le glorieux architecte », détaille le cinéaste. « Faire de l’homme le centre de toute chose, c’est peut-être oublier que cette place implique une emprise sur la nature, une transformation, à grande échelle, de son milieu, ou encore une domestication, souvent violente, du vivant. » Et si cet héritage de la vie contenait en creux les signes de sa destruction à venir ?
Les Rencontres d’Arles, du 3 juillet au 24 septembre.