« En 1989, je les ai découverts sur mon propre terrain, pauvres et sans attaches », écrit Larry Towell, photographe canadien de l’agence Magnum dans la seconde édition de The Mennonites, aux éditions Gost. Eux, ce sont les mennonites. Des protestants anabaptistes dont les courants les plus rigoristes refusent le progrès technologique, se coupant de la modernité.
Les premiers mennonites s’établissent en Amérique au XVIIe siècle pour fuir les persécutions et la conscription (ils sont aujourd’hui encore farouchement pacifistes). Au fil des siècles et des changements de législation, ils se sont établis en Amérique centrale. Larry Towell s’est alors intéressé à ces familles venues du Mexique pour travailler dans les champs de l’Ontario.
« L’été, j’essayais de trouver du travail dans ma région parce que mes enfants n’avaient pas école et que je ne voulais pas voyager tout le temps. En voiture, j’ai alors remarqué ces gens dans les champs, en train de récolter tomates et concombres », raconte le photographe. « Les femmes portaient de longues robes à fleurs et des chapeaux de paille, les hommes des salopettes. Et il y avait un groupe d’enfants blonds qui couraient partout. J’ai commencé à leur parler et à les photographier. Ils étaient mennonites. »
C’était au tournant des années 1990. Mais sur les photos d’un noir et blanc tout en nuances, il est bien souvent impossible de deviner l’époque. Années 1950 ? 1930 ? Fin du XIXe ? Fillettes et femmes cachent sous des châles à franges et des chapeaux leurs cheveux ramenés en de complexes tressages. Les intérieurs dépouillés, couverts de terre battue, sont chauffés par des poêles devant lesquels on installe un tub pour la toilette. Et puis, ça et là, d’infimes indices. Une fillette chaussée de baskets. Des ustensiles en plastique. Des voitures, un ventilateur, un sweatshirt… Sous leurs airs atemporels, les clichés sont plus récents qu’il n’y paraît.
Entrer dans la communauté
« C’est devenu une odyssée de 10 ans », constate Larry Towell. Une décennie durant laquelle il a documenté la vie de cette communauté, mais peut-être surtout, sa mutation. Au début de ce projet, pas d’électricité, ni d’automobiles, encore moins de télévisions ou de radios dans les colonies visitées par le photographe. « Pas d’influence du monde extérieur », résume-t-il.
On s’étonne d’autant plus de la proximité et de la confiance entre le photographe et ces personnes peu ouvertes sur le monde extérieur. Certains se cachent d’ailleurs le visage. Mais Larry Towell est aussi à table avec eux, il assiste aux jeux des enfants, aux travaux, à la toilette, même aux amourettes interdites.
« Une fois qu’ils étaient en Ontario, ils ne connaissaient personne. Ils n’étaient plus dans une colonie. Ils étaient jetés dans le courant dominant, la société moderne, sans préparation. C’était donc plus simple pour moi de pénétrer cette communauté », explique humblement le Canadien.
Cet intérêt teinté de respect n’est pas spécifique à ce travail au long cours. Il imprègne la carrière du photographe, tant dans les projets réalisés non loin de chez lui qu’à l’autre bout du monde, comme en Afghanistan ou en Palestine. Une oeuvre marquée par des images qui oscillent entre douce quiétude et tension intense.
« Je ne suis pas du tout un photographe de guerre », insiste-t-il. « Je me retrouve parfois juste dans ces situations. » Ce qui le guide avant tout c’est de « documenter le monde », d’« étudier les différentes structures de pouvoir et les communautés », avec un intérêt marqué pour les problématiques liées au territoire.
C’est cette volonté de décrire le monde qui a poussé Towell, après un voyage en Inde, à tourner le dos à la peinture et à la sculpture qu’il avait étudiées dans les années 1970. « J’ai commencé la photo parce que je ne croyais pas au monde de l’art. » Avec ce médium, Larry Towell a trouvé un « outil bien plus puissant » car il n’avait pas à inventer.
Certains connaissent peut-être le monde des mennonites tel que Larry Towell l’avait dépeint dans la première édition de cet ouvrage, publiée en 2000, mais ce dernier opus n’est pas pour autant une répétition. Le coffret monochrome renferme une nouvelle maquette et une quarantaine de clichés inédits. Au gré des pages veloutées, il se dégage une impression d’écoute attentive. Larry Towell est tout à la fois un conteur visuel et un passeur de réalité.
The Mennonites, de Larry Towell, éditions Gost, 288 pages, 60€.