Plateforme 10, le nouveau site artistique de Lausanne, est rapidement accessible en sortant de la gare. Le lieu, bâti sur 25 000 mètres carrés et composé d’une esplanade et de deux imposants bâtiments en lieu et place d’anciens entrepôts ferroviaires, est d’ailleurs collé aux rails. On est ainsi invité à flâner sur son esplanade chaleureuse, profiter des restaurants, terrasses, librairies-boutiques avant d’acheter son billet pour le musée de son choix. Plateforme 10 accueille sur son site les 3 musées cantonaux vaudois du mudac (musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains), de Photo Elysée et du MCBA (Musée cantonal des Beaux-Arts).
« L’idée du quartier, c’est d’avoir trois musées qui gardent leur singularité, leur histoiren leurs perspectives, mais qui entrent en dialogue constamment, soit sur des thématiques communes, mais le plus souvent sur les thématiques qui sont développées par les musées eux-mêmes », explique Patrick Gyger, directeur général de la Fondation Plateforme 10, et connu du public français pour avoir été le directeur du lieu unique à Nantes durant les 10 dernières années.
Le projet affiche 27 millions de francs suisses de frais de fonctionnement annuels et un modèle économique unique, réunissant sous une même fondation des institutions aux statuts bien différents: le musée des Beaux-Arts, qui était déjà une fondation de droit public, le musée de la photographie, un musée cantonal, mais appuyé largement par une fondation de droit privé, et le mudac, un musée municipal. De ce budget, 20 millions de francs suisses proviennent de subventions publiques. « L’idée, c’est d’harmoniser et de mutualiser la recherche de fonds, les frais de fonctionnement, certains services comme les ressources humaines, l’administration, l’informatique », détaille Patrick Gyger. Le but étant, évidemment, de faire venir davantage de visiteurs de l’extérieur. « Des gens de cette région, mais également de Suisse alémanique, des Parisiens et Parisiennes, des gens de Milan, de Bâle… »
Ce nouveau pôle muséal est également un tournant pour les institutions concernées et leurs directions. L’historienne de la photographie et commissaire Nathalie Herschdorfer vient ainsi de reprendre les rênes de Photo Elysée, l’historien de l’art Juri Steiner est en poste au MCBA depuis le mois de juillet, et Chantal Prod’Hom, directrice du mudac depuis sa création, accompagnera l’évolution du musée pour une dernière année. « Tatyana Franck a donné à Photo Elysée une nouvelle vie et l’a accompagné dans sa mue: c’est ainsi que le Musée de l’Élysée a quitté une maison de maître du 18e siècle et que Photo Elysée a trouvé refuge dans un espace muséal contemporain conçu pour lui », indique Nathalie Herschdorfer.
Fenêtres sur le monde
La manifestation inaugurale, intitulée « Train Zug Treno Tren », a donc, dans ce contexte, été conçue dans une approche commune par les trois musées. Pour les amateurs de photographie, l’attraction se trouve dans le bâtiment réunissant le mudac et Photo Elysée.
À l’étage, où le premier musée dévoile ses expositions, on remarque plusieurs œuvres qui valent le coup d’œil, dont Anatoli (1984) de Sophie Calle, qui dépeint le périple de la photographe dans le Transsibérien qui la conduit en octobre 1984 à Vladivostok. Une vie commune s’installe avec Anatoli Voroli Fiodorovich, le compagnon de fortune avec qui elle partage un compartiment pour deux personnes. Leur communication avec force mimiques leur permet d’approfondir leur connaissance mutuelle… Anatoli, 65 ans, divorcé, père de deux filles, fait les repas et assure leur consommation en vodka ; Sophie fait la vaisselle, le ménage et prépare les couchettes.
Dans un autre registre plus comique, la série de Jonathan Monk, « Waiting for Famous People » (1995-97), où l’artiste est pris en photo dans des halls de gare attendant avec impatience des célébrités qui ne viendront évidemment jamais. Sur les pancartes qu’il tient dans les mains, les noms de Al Capone, Madonna, Elvis, Sigmund Freud ou des Spice Girls. « C’est quelqu’un qui a plein d’humour », raconte Marco Costantini, le commissaire de l’exposition. « C’est quelqu’un de fin, qui aime jouer. »
Au sous-sol, Photo Elysée présente son interprétation du train à travers l’exposition « Destins Croisés », et plus d’un siècle et demi d’histoires ferroviaires, depuis les toutes premières expériences du train au cours du 19e siècle jusqu’aux usages d’aujourd’hui.
Dans une scénographie trop chargée, où étrangement la peinture et le cinéma prennent quasiment autant de place que la photographie, le visiteur aura bien du mal à trouver ses repères visuels. Composée de 350 œuvres, documents et objets, l’exposition se visite selon 3 parcours et 15 thématiques. Avec, à la sortie, un sentiment de n’avoir pas pris le bon wagon. « Je l’ai voulue très foisonnante et polyphonique », justifie Marc Donnadieu, conservateur en chef. « Chacune des quinze étapes montre comment ça circule et ça s’enrichit, d’un médium à l’autre. C’est une réflexion qui vient vraiment d’un point de vue photographique. »
Les chefs-d’œuvres visuels sont quant à eux exposés au MCBA. Des peintures pour le coup: De Chirico et ses trains surréalistes, introduisant d’autres œuvres de ses « disciples », toutes mises en relation avec classe et sobriété. Une exposition qui vient clore un parcours intense, et qui augure de belles choses pour Plateforme 10, dans une ville qui en plus du charme de son paysage et de l’accueil chaleureux de ses habitants, se dote dorénavant de réels atouts culturels.