Quelles images connaissions nous vraiment de l’Ukraine avant que ce pays soit au centre de la couverture médiatique des journaux du monde entier ? Celles, brutes, de Boris Mikhailov, ou encore celles, un peu plus douces, d’Alexander Chekmenev ou de Yelena Yemchuk.
Des photographes qui ont voyagé à l’ouest, vivent en Allemagne ou aux Etats-Unis, exposent en France, travaillent pour les publications occidentales… La vérité est que l’Ukraine est un pays fascinant, à la culture méconnue, tout comme son peuple, et que l’on a plaisir à découvrir davantage grâce aux talents de ses jeunes photographes qui s’en font aujourd’hui les ambassadeurs visuels.
C’est justement la tâche de Mikhail Palinchak et Sasha Kurmaz, qui à l’occasion de l’exposition de leur travail à Marseille, ont fait le voyage depuis Kyiv, et passent par Madrid, Milan ou Berlin, pour parler de leur pays, de la guerre évidemment, mais aussi de tout ce qu’il y a de beau à raconter sur l’Ukraine. « Nous avons à peine le temps de visiter Marseille. C’est une ville magnifique d’ailleurs. Mais nous sommes d’abord ici pour travailler. »
Mikhail Palinchak est photographe documentaire. Il couvre le conflit depuis le début de l’invasion russe. Mais sa série « Bilateral Rooms », exposée à Marseille et de nature plutôt géométrique, révèle les espaces quotidiens où certaines des personnalités les plus puissantes du monde se réunissent pour prendre des décisions cruciales qui façonnent la vie de millions de personnes, dont celle des Ukrainiens.
« Certaines de ces photos ont été prises lors des Accords de Paris sur le climat en 2016. Je m’ennuyais un peu et j’ai décidé de réaliser une série différente, qui refléterait mon point de vue personnel sur ce genre de réunions. À l’époque, j’étais le photographe officiel du président ukrainien et je voyageais avec la délégation de mon pays. »
Sasha Kurmaz est, lui, artiste pluridisciplinaire. Les images et la vidéo exposées au Centre Photographique Marseille présentent des photos issues du livre Yeah, Yea, Yea, Yeah, paru en 2018. C’est une collection de photographies vernaculaires à caractère pornographique. Des images trouvées dans les médias sociaux ou bien achetées sur les marchés aux puces, triées visuellement, selon des poses ou des thèmes similaires.
Ces deux séries de photos, assez décorrélées à la guerre et aux images du type qui inondent nos écrans, offrent ainsi une autre vision de l’Ukraine, moins actuelle mais moins catastrophique.
Conflits
L’exposition de Marseille comporte trois parties, intitulées « Body as propaganda », « Female », et « Ukraine, la vie d’avant ». Ces trois thèmes ont en commun de rappeler que l’Ukraine, avant même l’invasion de 2022, était en proie à des déstabilisations politiques et en lutte pour la liberté dans certaines de ses régions. C’est donc la mémoire d’un pays où l’indépendance récente marquait déjà un contexte particulier que nous découvrons.
Les images de la photographe Oksana Parafeniuk sont les meilleurs témoignages de l’escalade du déséquilibre ukrainien. En parcourant celles exposées, on découvre aussi bien des scènes de joies que des situations inquiétantes, et la préparation du peuple ukrainien à la guerre avec la Russie. Nous avions d’ailleurs publié certaines de ces photographies au début du conflit, l’année dernière.
« En regardant les photographies que j’ai faites ces six dernières années, je me rends compte qu’il m’est difficile de mettre des mots sur ce que je ressens », raconte la photographe. « Chaque personne, chaque endroit sur ces photos a été touché d’une manière ou d’une autre. Tout a été bouleversé par cette guerre de grande envergure, brutale, que la Russie a déclaré à l’encontre de l’Ukraine, le 24 février 2022. »
Le parcours d’Oksana Parafeniuk est pourtant une atypique histoire ukrainienne. Celle d’une talentueuse photographe qui collabore avec tous les plus grands journaux du monde – New York Times, Le Monde, Der Spiegel, Washington Post -, mariée à un américain, qui a été réveillée par les bombes chez elle à Kyiv à 5 heures du matin, a accouché d’un fils en 2022 en Pologne, avant de revenir dans la capitale ukrainienne pour faire son métier, puis d’en repartir pour la sécurité de sa famille.
« Aujourd’hui, je fais surtout des photos de mon fils. Peut-être que cela deviendra un projet à l’avenir. Même si l’Ukraine et mon travail de reporter me manquent, bien évidemment », explique la photographe.
Stand with Ukraine est un programme de soutien à la scène photographique ukrainienne initié et mis en œuvre par le réseau Diagonal avec le soutien du ministère de la Culture, de l’Institut français, de l’ADAGP et de la SAIF. L’initiative se décline sur toute la France avec les centres photo participants.
« Le réseau Diagonal fédère aujourd’hui 27 centres d’art, y compris dans le territoire d’outre mer », détaille Erika Negrel, Secrétaire Générale de l’association financée par le ministère de la culture. « Ce qui nous rassemble, c’est promouvoir la photo, d’être dans la transmission de la pratique photographique, dans l’éducation. C’est l’ADN de ce réseau. »
C’est ainsi dans ce contexte que le Centre Photographique Marseille présente son exposition sous le commissariat de Kateryna Radchenko, fondatrice et directrice du festival Odesa Photo Days, qui aujourd’hui ne peut plus avoir lieu en Ukraine. C’est à ce titre qu’on découvre, dans une salle aménagée pour l’occasion, une présentation vidéo de plusieurs dizaines de photographes ukrainiennes, aux projets, esthétiques et messages variés, qui surprend par leur richesse et leur profondeur.
Rayonnement local
Le Centre Photographique Marseille, lui, a ouvert dans son lieu actuel, près de l’avenue de la République, en 2018. Il ne se cantonne pas forcément à un axe de programmation d’expositions, mais à exposer tous types de photographies. En ce moment, c’est davantage la photographie documentaire qui prime, mais la prochaine exposition affichera d’autres genres.
« Parfois, nous avons des sujets liés à des problèmes de société, parfois plus un travail plastique », explique son directeur Erick Gudimard. « On a aussi un programme de création. On fait des actions dans les écoles. Il y a même une programmation qui est basée sur le questionnement de l’image. » Évidemment, certains projets ont aussi un lien fort avec la ville, voire la région.
À Marseille, dont la scène créative regorge de talents, le lieu paraît être un projet important pour la visibilité des artistes. « Il y a de nombreux praticiens ici, qui viennent de plus en plus s’installer à Marseille, et qui produisent des images. Il manque des débouchés, en termes à la fois de lieu d’expos ou de galerie privée. Il n’y en a aucune d’ailleurs », explique Erick Gudimard.
Le centre culturel est aussi un lieu de vie, où les habitants du quartier où il est installé, passionnés de photographie ou pas, peuvent se retrouver, et partager autour de projets racontant le monde d’aujourd’hui.
« On est en train d’essayer de construire un projet territorial avec la FRAC, pour une biennale qui soit de voisinage, avec les habitants. C’est un travail à mener avec les partenaires sociaux ou les partenaires de terrain. Un travail de longue haleine. Et avec le COVID, tout cela s’est effrité. On recommence juste à retisser ces liens. »