C’est à 200km de Paris, au cœur d’un îlot de verdure niché dans la Vallée du Loir que Zone i crée un espace culturel dédié à l’Image et l’Environnement. D’abord « i » comme image, cette lettre acquiert d’autres significations au gré des saisons et des événements. Le territoire communal de Thoré-la-Rochette reste en effet vulnérable à différents aléas naturels et Zone i est à l’origine une zone inondable. Au fil des années, Mat Jacob et Monica Santos, directeurs artistiques de Zone i, ont transformé l’espace. Elle graphiste et scénographe, lui photographe, ils ont créé une zone « inouïe, incroyable, inimaginable, insubmersible ». Au milieu des champs, le lieu accueille des installations, des expositions de photographie, des résidences d’artistes et des rendez-vous culturels. La zone est infinie car volontairement inachevée. « Zone i doit évoluer et apprendre à marcher, comme un enfant, sans pour autant trop grandir. » dit Mat Jacob. « Ce serait d’ailleurs destructeur pour le site, on préfère rester modestes et libres. »
Les Rencontres Image et Environnement rompent le calme et la sérénité du lieu le temps d’un week-end. Chaque année, le festival accueille des professionnels de l’image, des spécialistes de l’environnement et des curieux. En musique et au grand air, photographes ou passionnés se réunissent et échangent. On y danse, on y joue de la musique, puis on débat sur le vivant et sur la création. Les idées jaillissent autour d’une ou deux bouteilles de vin local.
Pour Mat et Monica, « chaque année c’est un peu une première fois car on fait des formats différents ». Cette 4ème édition proposait visites, projections, concerts et rencontres-débats. « Nous voulions une programmation variée, autant festive qu’intellectuelle. » Et c’est réussi. De 14h à minuit, activités diverses sont proposées. La journée, on déambule dans le fameux Labyrinthe de Zone i, œuvre land art élaborée par Jean Philippe Mauchien, composée de 700 portes et fenêtres réutilisées. Le soir, on embarque pour un voyage immersif réunissant son et image avec une projection photo. La musique expérimentale d’Edouard Ferlet accompagne les récits photographiques : S’enforester d’Andrea Olga Mantovani et Zoom de Dolorès Marat. La première a réalisé un projet dédié à la forêt primaire la plus ancienne d’Europe, tandis que la seconde titille notre imagination avec ses photos proches du rêve. Elle clôture d’ailleurs les Rencontres Image et Environnement avec une conversation autour du film documentaire à son sujet, réalisé par Thomas Goupille. Dans Dolorès, elle donne à voir sa vie simplement et sans fioritures. Intarissable d’anecdotes, le film n’épuise ni son vécu, ni sa créativité. « C’est la photo qui m’a ouvert la voix, maintenant je suis bavarde…mais je ne parle que de photo ! », plaisante-t-elle.
À Zone i, image et environnement riment avec poésie et dépaysement. Projet à la croisée des chemins de la photographie et des préoccupations écologiques, il était naturel pour Mat et Monica d’aborder ce sujet sous un angle artistique. Si cet engagement résonne encore plus dans une période particulièrement trouble tant du point de vue écologique que sociétal, il s’agit d’abord d’une sensibilité personnelle aux causes environnementales. Pour faire cohabiter photo, territoire et environnement, l’ancien moulin a été restauré et transformé en résidence photographique. Respirant son passé, le lieu se prête à l’exposition. On déambule parmi les sacs de blé en toile de jute et les anciennes roues en pierre de taille. Cette année, la photographe Julie Hascoët y a passé 3 mois dans le cadre d’une résidence de création « Terre et Territoires ». Elle y expose Entrer en matière, histoire d’introduire le sujet et de littéralement pénétrer dans la pierre. Ruines, constructions, gouffres…la roche est protéiforme.
Les Rencontres Images et Environnement sont aussi l’occasion de réinventer la profession de photographe à bord d’un authentique train des années 1950. Entre les sifflets du train touristique de la vallée du Loir, et le paysage Vendômois qui défile aux fenêtres, on débat autour de la photographie libre. La photo, travail ou loisir ? De quel statut bénéficie le photographe aujourd’hui ? Est-il encore possible d’exercer ce métier sans compromission ? Très vite, dans le wagon deux visions s’opposent : celle du photographe libre penseur qui refuse de mettre son regard au service d’une idée, et la réalité, parfois désenchantée. Pour Mat Jacob il s’agit surtout d’une question intime : « C’est un équilibre fragile entre aspect économique et liberté. Il est propre à toutes les professions. Mais la photographie a de particulier qu’elle sert aux idées. Elle peut être un outil de propagande. Il faut donc faire des concessions, des choix artistiques. » D’où l’importance de confronter ses idées et de créer ensemble. Le collectif de photographes Tendance Floue, dont Mat Jacob est cofondateur, l’a bien compris. Et si la photo n’était qu’un prétexte pour se réunir et s’interroger sur le monde ?
Pour Jean-Christian Bourcart, elle est en tout cas prétexte à la transgression. Dans Ma vie comme un chantier, une projection commentée de ses travaux photographiques, on s’immerge dans l’univers de l’artiste. Promenant l’objectif de son appareil photo dans les clubs échangistes de Paris ou dans la ville la plus dangereuse des États-Unis, Camden, il n’hésite pas à décloisonner les représentations, quitte à prendre des risques. Spontanée, provocante, la liberté de création est totale.
Défricher
Proche de la ville et loin des bruits de la cité, Zone i rappelle l’importance de délocaliser la photo des milieux urbains ou parisiens. En pleine nature, on y cultive une autre définition de la photographie. Pour Mat Jacob, « c’est un moyen de défricher le monde entier. Peut-être que quand on aura tout défriché, on aura plus de raison d’exister ».
Zone i, Moulin de la Fontaine, 41100 Thoré-la-Rochette