Il avait un intérêt marqué pour les visages empreints d’humanité, ceux qui vous fixent dans la rue d’un air songeur et intrigué, avec un fond de grâce, quelque chose qui a à voir avec l’âme dont ils témoignent, que leurs yeux présentent. C’est par exemple le cas de ce libraire qu’Adolfo Kaminsky photographie dans le Paris d’après Seconde Guerre mondiale. L’homme est entouré de ses livres et de ses chats, comme si les uns n’allaient pas sans les autres, et vend des dictionnaires au rabais, le bottin des professionnels de Paris de 1948 ou encore un guide des châteaux de la Loire. Cette attention portée aux petits métiers est une caractéristique qui ne quittera jamais les images de Kaminsky.
Il photographie tour à tour un rémouleur, un rempailleur, un poinçonneur ou encore un joueur d’orgue de barbarie. Ces petites mains qui façonnent la ville le fascinent. Peut-être lui rappellent-elles son travail de faussaire, celui qu’il a développé durant la Seconde Guerre mondiale pour duper les troupes allemandes et pour sauver des juifs, celui qu’il continuera de faire durant les années 1950 et 1960 en soutenant les révolutions d’Amérique Latine, les opposants aux dictatures d’Espagne, du Portugal et de Grèce ?
“Dans la ville endormie”
C’est à cette période, au lendemain du terrible conflit mondial, qu’Adolfo Kaminsky, né en 1925, se consacre véritablement à la photographie. « Tous mes amis étaient partis et, pour vaincre ma solitude, je me suis jeté corps et âme dans la photographie. Chaque nuit, je grimpais sur les toits de Paris pour capturer l’instant dans la ville endormie », dit-il. Un instant qu’il fixe sur pellicule à l’aide d’un Rolleiflex. Une femme adossée à un mur la nuit. Des dames cachées derrière un parapluie un jour grisâtre sur un boulevard. Un marchand goguenard au marché aux puces devant une vieille automobile délabrée. Tels sont les précieux tableaux que le photographe recueille. Paris n’est pas le seul sujet de Kaminsky. Il photographiera aussi les docks du port de Marseille, la cité mystérieuse d’Adrar en Algérie ou encore des arbres centenaires au Liban. Mais il y a toujours cette recherche d’humanisme qui le rapproche de photographes comme Sabine Weiss, Robert Doisneau, Willy Ronis. Le musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris nous le montre à merveille.
Adolfo Kaminsky, Faussaire et photographe
Du 23 mai au 8 décembre 2019
Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme
Hôtel de Saint-Aignan, 71 Rue du Temple, 75003 Paris