« Je venais d’assister à une nouvelle cosmogonie. Mes compères étaient devenus des étoiles. Je rêvais de faire de même. Mon corps voulait faire astre. » Auctus Animalis, récit de la découverte d’un monde hybride, nous raconte l’épopée du capitaine Levant parti à la rencontre d’un bestiaire fantastique vivant sur une île mystérieuse, au beau milieu du Pacifique. Un chat trou noir, un serpent maître du temps, une baleine fantôme, un cerf céleste, une panthère étoilée… Voilà une bien étrange arche de Noé cosmique imaginée par le photographe Vincent Fournier et animée par le compositeur Sébastien Gaxie.
Les deux artistes ont remporté le Prix Swisslife à 4 mains qui récompense depuis 2014 un projet où se réunissent deux formes d’expression artistique trop rarement associées : la photographie et la musique. Il faudrait même ici ajouter le texte tant le récit façon Jules Verne du livre – écrit par Sébastien Gaxie et illustré par le graphiste Elie Colistro – apporte un supplément d’âme à ces animaux hybrides.
Entre photographie et modélisation 3D
Il faut dire qu’elles sont merveilleuses et fascinantes ces bestioles créées entre photographie et modélisation 3D, sorties de l’imagination de Vincent Fournier. « Ce travail est dans la continuité de ma série Post Natural History, un cabinet de curiosité que nous avons poussé beaucoup plus loin pour le prix Swisslife », détaille le photographe qui avait ainsi inventé une encyclopédie d’espèces du futur.
Le futur et la science-fiction, voilà ce qui habite l’œuvre de Vincent Fournier depuis le début, que ce soit avec son projet autour des stations spatiales, ou des architectures cosmiques de l’ex-URSS. « Mon inspiration vient beaucoup de l’enfance, je viens puiser dans cette nostalgie pour les futurs des années 80 comme la série Cosmos 1989, Blade Runner, des auteurs de bandes dessinées comme Enki Bilal ou Moebius ou des écrivains comme Ariel Kyrou et Alain Damasio », confie-t-il. L’Argentin Jorge Luis Borges tient aussi une place de choix dans sa bibliothèque fondatrice, citant un passage de L’Immortel, de 1947 : « Nous acceptons facilement la réalité, peut-être parce que nous sentons que rien n’est réel. »
Mais quelle est donc la recette de la création de ces Auctus Animalis ? « Je vais photographier des espèces existantes et ensuite voir les caractéristiques de transformation », détaille-t-il. Cela va de la modification légère jusqu’à la modélisation entière en 3D. « Mais avec ces outils, il faut aussi se mettre des limites. » Les transformations numériques sont assez subtiles pour que ces animaux nous paraissent quasi réels.
Pour obtenir cette cosmogonie animale, Vincent Fournier est notamment allé parcourir les allées du Muséum d’histoire naturelle de Paris pour y photographier certaines espèces. La scénographie de l’exposition rend d’ailleurs hommage au musée, en reprenant les encadrements et les plaques dorées typiques où figurent la carte d’identité de l’animal.
Quand la musique donne corps à la photo
La photographie capture un instant, le fige. Mais ici, ces animaux semblent sortir du cadre. Grâce à la musique, voilà qu’ils prennent vie. Le compositeur Sébastien Gaxie a imaginé une partition pour chaque animal, reprenant les rugissements de la panthère, le barrissement de l’éléphant ou le sonar de la baleine (grâce à la sonothèque du Muséum).
Dans l’exposition, présentée à la galerie Clémentine de la Féronnière (Paris), un haut-parleur est disposé au-dessus de chaque photographie, le son se déplace, un jeu s’installe, celui de retrouver à quelle espèce correspondent les notes. « Quand on se trouve en face de l’animal, la musique l’incarne. C’est comme s’il prenait vie de manière fantastique. Avec le son, on a l’impression qu’il s’anime, l’image ne devient plus fixe, ça crée une autre entité », se réjouit Vincent Fournier. Des QR codes et un CD ont également été disposés dans le livre pour une lecture immersive.
Ces animaux, qui prennent vie par l’intermédiaire des violons ou du piano, nous rappellent évidemment Pierre et Le Loup de Sergeï Prokoviev. Certains y verront une touche du Petit Prince, d’autres de Lewis Caroll. Ce brave capitaine Levant – incarné par la voix du comédien Denis Lavant – et cette constellation de créatures plongent en tout cas petits et grands dans tout un univers visuel et sonore merveilleusement bien imaginé.
Loin d’être une œuvre moralisatrice, Auctus Animalis porte en elle, par l’image et le son, ce message de préservation de la biodiversité par l’émerveillement, par l’émotion. La nature y est majestueuse comme le cerf céleste et ses bois constitués de cristal, imposante comme la baleine fantôme et ses particules d’énergie cosmique, musicale comme l’oiseau tempestaire et ses notes aux pouvoirs célestes… Elle est fantastique, fragile et vitale.
Auctus Animalis, récit de la découverte d’un monde hybride, Editions Filigranes, CD + 36 photographies et illustrations en couleurs et noir et blanc, 64 pages, 35 €. Exposition jusqu’au 24 septembre à la galerie Clémentine de la Féronnière, Paris. Du 10 au 13 novembre 2022 au salon approche, Paris. Puis à Nantes, Metz, Arles, Marseille en 2023.