Devant l’objectif de Barbara Niggl Radloff, Hannah Arendt sourit avec espièglerie. Le visage de l’écrivain Erich Kästner est mangé par les fleurs. La comédienne Lale Andersen a de faux airs de Marilyn Monroe dans les volutes de fumée de sa cigarette. Barbara Niggl Radloff (1936-2010) a produit de très nombreux portraits en s’affranchissant des conventions de son temps. Malgré la qualité de son œuvre, la photographe munichoise reste peu connue. Une grande rétrospective dans un livre entend réparer cet oubli et remettre en lumière son travail.
Contrairement à beaucoup de ses contemporains, Barbara Niggl Radloff n’est pas autodidacte. En 1957, elle termine ses études dans une des écoles les plus influentes de l’Allemagne d’après-guerre, l’Institut für Bildjournalismus(institut de photojournalisme), où ses professeurs la considèrent comme une « élève exceptionnellement douée ». Elle collabore avec de nombreux périodiques, des quotidiens et hebdomadaires d’actualité comme la Süddeutsche Zeitung et la Münchner Illustrierte, mais aussi des publications plus axées sur le lifestyle telles Twen ou Scala.
Un aperçu de la psyché
Son talent lui permet de s’imposer dans le monde très masculin du photojournalisme. « Dans les années 1950 et 1960, Barbara Niggl Radloff était tiraillée entre la vérité documentaire et la création d’images subjectives », écrit l’historien de l’art Maximilian Westphal dans l’épais ouvrage qui accompagne l’exposition. « À la recherche d’un langage visuel à la fois personnel et adapté à son époque, elle voulait enregistrer “une situation humaine fondamentale par excellence”. Dans l’esprit du “portrait psychologique”, les portraits ne devaient pas seulement fournir des informations sur l’apparence, mais aussi donner un aperçu du caractère et de la psyché d’un individu. »
Cette attention à rendre plus que le visuel est perceptible dans ses reportages et ses photos de mode. À Paris, Moscou ou Jérusalem, les gens sont toujours au centre de son travail. Mais à partir du milieu des années 1970, après avoir interrompu sa carrière quelques années pour s’occuper de ses enfants, Barbara Niggl Radloff se consacre plus spécialement au portrait, et notamment au portrait d’artiste. « Au lieu des cabinets de poètes et des ateliers d’artistes, qui sont également présents, Niggl Radloff se rend dans les lieux de vie, les cuisines, les salons et les chambres à coucher de ses protagonistes ou parcourt avec eux des lieux significatifs en plein air », explique l’historienne de l’art Ellen Strittmatter. Pour Maximilian Westphal : « Dans les photographies de Niggl Radloff, le cadre est une partie plus subtile mais primordiale de l’image, qui englobe la personne dont on fait le portrait et contribue à la caractériser. »
Rechercher le cadre parfait
Ainsi la photographe ne colle pas au stéréotype que l’on se fait des personnalités qu’elle rencontre. Ses planches-contacts, dont certaines sont reproduites dans le catalogue, montrent la recherche du cadre parfait. Les artistes apparaissent tantôt debout ou assis, seuls ou avec des proches, de profil ou de face, dans différentes pièces ou parties d’un jardin… En tout, la rétrospective présente quelque 500 images tirées d’un fonds en comprenant plus de 50 000. Ces archives ont été confiées à la ville de Munich par les enfants de la photographe en 2018, huit ans après sa disparition. Au total, ce sont presque cinq décennies de travail qui s’exposent dans la capitale bavaroise.
Vertrauliche Distanz. Fotografien von Barbara Niggl Radloff 1958-2004, livre de Barbara Niggl Radloff, publié par Schirmer Mosel, 39,80€.