Écrit à quatre mains, S’enforester ose la diversité des regards. Baptiste Morizot couche sur le papier ce qu’Andrea Olga Mantovani fait ressentir en image. Mêlant art, politique et écologie, la photographe et le philosophe dépeignent la multiplicité des ressentis et des images que l’on peut avoir sur la forêt.
Dernière forêt des premiers âges
Sols jonchés de bois mort, troncs abattus et souches broussailleuses. Białowieża rompt avec l’idée que l’on se fait d’une forêt primaire. À cheval sur les territoires polonais et biélorusse, elle est l’un des derniers vestiges de l’immense forêt qui a recouvert les plaines du nord et du centre de l’Europe après la dernière glaciation.
En 2017, menacée par un insecte qui détruit ses arbres, le gouvernement polonais entreprend une campagne d’abattage. Cette décision engendre immédiatement un mouvement de mobilisation écologique pour la protection de la forêt.
« Białowieża renferme un des plus importants conflits de notre époque : elle témoigne de la complexité des relations entre l’humain et le vivant », affirme Andrea Olga Mantovani. Refusant de le documenter de manière frontale et journalistique, elle oriente alors son travail vers une lecture plus profonde, personnelle et imaginaire. Initialement partie à Białowieża pour 3 semaines, Mantovani y restera 7 mois.
Géographe de formation, elle a travaillé pendant 6 ans sur des problématiques environnementales et sociales en Europe. Son travail à la fois fictionnel et documentaire dépeint son intérêt au vivant et aux territoires. Lauréate du prix Focale pour son projet sur la forêt de Białowieża, les photographies de Andrea Olga Mantovani ancrent le mythe de la forêt originelle dans nos imaginaires. La jeune femme s’abandonne à l’errance et capture les instants en suivant son instinct.
Sous l’œil d’Andrea Olga Mantovani, entre féérie sylvestre et errance cinématographique
Entre paysages vaporeux et décors presque surnaturel, une inquiétante étrangeté transcende l’objectif. Chaque cliché semble renfermer un secret. Aussi bien poétiques que fidèles à la réalité, « les photos ne servent pas simplement d’illustrations, elles délivrent aussi un message et permettent de laisser une image fixe dans nos imaginaires tout en parlant d’actualité ».
Jouant de l’ambivalence entre forêt ancestrale et atmosphère soviétique lugubre, Andrea Olga Mantovani construit son récit photographique comme un script de cinéma. Toutefois, nul besoin de forcer le trait : véritable forêt des contes de notre enfance, Białowieża envoûte autant qu’elle fascine.
« À travers Białowieża on parle de toutes nos forêts »
« Cette forêt ce n’est pas nous, car ce n’est pas nos habitats, nos milieux, nos paysages », écrit Baptiste Morizot. Lointaine, inhospitalière, étrangère, Białowieża est pourtant aux racines de l’être. Relique du passé et emblème de la vie primitive, entrer dans Białowieża, c’est voyager dans le temps. Selon Andrea Olga Mantovani, la forêt questionne surtout notre avenir : « À travers Białowieża on parle de toutes nos forêts. »
Car « s’enforester » c’est davantage que s’immerger en forêt, c’est aussi comprendre et s’imprégner du message qu’elle renferme.
S’enforester, photographies d’Andrea Olga Mantovani et textes de Baptiste Morizot. Éditions d’une rive à l’autre, 48 €.