Photographe à l’esprit libre
Photographe un peu oublié cette dernière décennie, Bill Brandt est pourtant une figure importante de l’histoire du médium qu’il a marquée dans des champs aussi divers que le documentaire, le portrait, le paysage et le nu.
Pour résumer, on pourrait dire que ses images ne laissent pas indifférent. Mieux : quand on en a vu une, on s’en souvient.
Bill Brandt, photographe à l’esprit libre
C’est sans doute parce que Bill Brandt était un esprit libre : « Les règles et les conventions ne m’intéressent pas… la photographie n’est pas un sport », écrit-il dans son livre Camera in London en 1948. Un esprit libre doublé d’un passionné qui aimait expérimenter. La preuve, il n’a jamais cessé de se renouveler tout au long de ses cinquante ans de pratique.
Bill Brandt commence dans le Paris surréaliste de la fin des années 1920, à l’époque où la capitale était « le centre du monde », comme il l’écrit. Il est alors élève de Man Ray, un épisode marquant mais qui, paradoxalement, n’aura une empreinte sur son travail que des décennies plus tard.
Car dans un premier temps, après s’être installé à Londres en 1931, ce photographe né en Allemagne d’un père anglais et d’une mère allemande va, pendant plus de 15 ans, se consacrer au documentaire. Il est alors intéressé par la vie londonienne, aussi bien celle de la bourgeoisie aisée que des quartiers pauvres, rendant compte du quotidien des ouvriers dans les pubs, les prisons, etc.
Dans un deuxième temps, Bill Brandt se recentre sur les mineurs, au nord de l’Angleterre en crise industrielle. Certaines images font date, comme Jarrow (1937), montrant un homme voûté transportant un sac de charbon sur son vélo sur un chemin au milieu de nulle part.
Du documentaire au portrait et paysage
L’après-guerre marque un tournant radical : « J’ai peu à peu perdu mon enthousiasme pour le reportage. La photographie documentaire était devenue à la mode », écrit-il. Bill Brandt va désormais photographier des portraits, des paysages et des nus. Il va marquer son temps dans ces trois genres grâce à une cohérence de style et d’ambiance, même si sa technique varie. Ce qui relie ces images entre elles, c’est l’usage d’un noir et blanc tout en contraste et un goût pour l’étrange et l’inquiétant.
Témoins : le portrait de Francis Bacon et une vue de la sinueuse rivière de Cuckmere, deux images datant de 1963. « Pour réussir à photographier un paysage, il faut que je devienne obsédé par une scène en particulier », précise-t-il.
Et à propos des portraits qu’il réalise toujours dans l’environnement familier de ses sujets : « J’essaye d’éviter le côté vif et fugitif de l’image instantanée. Une expression calme permet d’obtenir une ressemblance plus profonde avec le sujet. Pour moi, un bon portrait doit dire quelque chose du passé du sujet, et suggérer quelque chose de son avenir ».
Il est évident que si les images de Bill Brandt marquent autant les esprits, ce n’est pas seulement à cause de ses partis pris esthétiques, c’est aussi parce qu’elles sont le fruit d’une réflexion et d’une maturation. Elles ont de la profondeur.
Bill Brandt et le nu comme paysage
Mais là où Bill Brandt va se distinguer, c‘est dans le nu. Avant tout parce qu’il photographie le corps de manière inédite, non pour en souligner sa beauté ou sa sensualité, mais afin de créer des paysages.
Ce sont les fameuses distorsions réunies dans l’ouvrage Perspective of Nudes publié en 1961. Bill Brandt obtient cet effet grâce au grand angle qu’il découvre via un vieil appareil Kodak en bois acquis d’occasion. « Je me suis laissé guider par cet appareil », note-t-il. Un imaginaire s’est ouvert à lui.
Et à y regarder de plus près, quoi qu’il ait photographié, Bill Brandt ne s’est jamais contenté de reproduire le réel. Non seulement il en a donné une interprétation mais, plus encore, il a créé son propre monde.
Bill Brandt – « The Beautiful and the Sinister », du 18 février au 18 mai 2022, Foam, Amsterdam.