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Brodbeck & de Barbuat : une autre histoire de la photographie

Avec « Une histoire parallèle », le duo Brodbeck & de Barbuat explore les possibilités de l’intelligence artificielle à travers 220 icônes de l’histoire de la photographie, et en filigrane notre relation aux images. À découvrir à la galerie Papillon à Paris.

En 2021, avec Les 1000 vies d’Isis, réalisée dans le cadre d’une commande du Centre national des arts plastiques et du Jeu de Paume avec le soutien du ministère de la Culture, Brodbeck & de Barbuat avaient créé Isis en image de synthèse. Cette série montrait une jeune femme à l’apparence plus vraie que nature. Avec leur dernier projet, le duo continue « d’explorer d’autres façons de faire de la photographie, et la manière dont les nouvelles technologies s’insèrent dans l’histoire du médium ».

Précisant au passage que depuis ses origines, ce dernier flirte avec la réalité mais n’en est qu’une représentation. On en veut pour preuve les mises en scènes, qui apparaissent dès le 19e siècle, comme les allégories de Julia Margaret Cameron à voir au Jeu de Paume (jusqu’au 28 janvier 2024) ou encore les images trafiquées sous de nombreux régimes dictatoriaux au 20e siècle faisant disparaître des personnalités tombées en disgrâce. Dans les années 2000, l’apparition des outils de retouche a facilité ces pratiques qui se sont accrues, au point de devenir presque banales.

« On a instauré un dialogue avec la machine »

Avec cette nouvelle série initiée en 2022, c’est-à-dire avant que l’intelligence artificielle ne fasse l’objet de toutes les attentions depuis la démocratisation d’applications devenues faciles à utiliser, leur propos est différent. Il s’agit d’une Étude sur l’intelligence artificielle et les mécanismes du souvenir comme l’indique le sous-titre de la série. « On a instauré un dialogue avec la machine », insistent Brodbeck & de Barbuat qui ont cette fois cherché à comprendre comment les outils générateurs d’images s’accommodent face aux formulations précises et leur part d’interprétation.

© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Horst P. Horst, Hands, Hands, Hands, 1941 – 2022
© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Edward Weston, Nude, Charis, Santa Monica, 1936 – 2022
© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Diane Arbus, Untitled (49), New Jersey, 1970 – 2022

Précisons que les résultats proposés par l’IA sont le fruit d’une compilation de milliers d’images dont les applications sont nourries. « On a d’abord voulu tester leurs possibilités et on s’est rendu compte que ces outils étaient capables de retranscrire des images du 19e à partir d’une date et de précisions sur la technique utilisée, sans citer le nom du photographe. » 

La bonne idée, c’est d’avoir choisi des icônes, c’est-à-dire des images appartenant à notre mémoire collective. Elles sont comme des repères permettant d’évaluer les résultats. « On est rentrés dans les détails, décrivant ce qui se passe dans l’image, précisant parfois la date pour que le résultat soit cohérent par rapport à l’original. Par exemple pour le soldat qui tombe de Robert Capa, si on n’indique pas la date, on obtient un GI du Vietnam. »

© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Robert Capa, The falling soldier, Cerro Muriano, 1936 – 2022

La série tient par son editing. On touche là à une étape obligatoire et fondamentale de l’élaboration de n’importe quelle série photographique, et à un aspect traditionnel du métier de photographe. « On a voulu garder les erreurs et les accidents parce qu’ils sont révélateurs ». Comme l’image de Helmut Newton d’une femme plongeant dans la piscine. « La nudité étant taboue pour l’IA, elle en propose une version habillée, longiligne comme une mannequin, mais dont le corps n’a plus rien d’humain. » 

Certaines images sont très réalistes, comme John Lennon et Yoko Ono d’après Annie Leibovitz, à ceci près que la machine a “rhabillé“ le chanteur et dénudé en partie sa compagne. Pour le peintre de la Tour Eiffel de Marc Riboud, le monument apparaît deux fois… Quant au corps de Charis dans le fameux nu de Edward Weston, il est plein d’imperfections, mais à première vue très ressemblant. Au-delà de l’anecdotique et des bugs qui peuvent nous faire sourire, ce qui est intéressant, c’est que ces images nous mettent à l’épreuve, nous humains.

© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Annie Leibovitz, John Lennon and Yoko Ono, 1980 – 2022
© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Marc Riboud, The Painter of the Eiffel Tower, Paris, 1953 – 2022

Car si face à ces avatars, on est en mesure de détecter ce qui ne va pas – parfois immédiatement, comme le visage étrangement lisse de la Migrant Mother de Dorothea Lange, d’autres fois dans un second temps –, force est de constater nos propres faiblesses. Ces icônes, on croit les connaître. Mais en fait, pas si bien que cela. Quand notre esprit cherche à les reconstituer pour corriger les erreurs, on prend conscience que de nombreux détails nous échappent. « Comment est-ce possible que notre mémoire soit si peu précise alors que nous lui faisons une confiance totale ? », s’interroge le duo. Ainsi, cette série nous fait vivre une expérience troublante. Ce n’est pas seulement aux limites de la machine qu’elle nous confronte mais aussi à nos propres failles.

© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat Dorothea Lange, Migrant mother, Nipomo, California, 1936 – 2022
© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Harold Edgerton, Bullet Piercing an Apple, 1964 – 2022
© Brodbeck & de Barbuat
© Brodbeck & de Barbuat, Charles Marville, Place Saint André-des-Arts. Paris. circa 1866 – 2022

Brodbeck & de Barbuat « Une histoire parallèle. Étude sur l’intelligence artificielle et les mécanismes du souvenir ». Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris. Jusqu’au 13 janvier 2024.

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