Habituée des sujets raciaux aux États-Unis, Carrie Mae Weems présente l’un de ses derniers travaux, intitulé « Painting the town » (Peindre la ville), à la Fraenkel Gallery de San Francisco. Pour réaliser cette poignante série, l’artiste est retournée dans sa ville natale, Portland, en Oregon, après les soulèvements sociaux qui ont suivi le meurtre de George Floyd en 2020. Dans le cadre d’une commande pour National Geographic, elle a documenté la réaction des habitants de la ville et un paysage urbain transformé par les manifestations, les interventions policières et les traces visibles des tensions.
La série se compose de grandes photographies en couleur montrant des devantures de magasins de Portland recouvertes de panneaux de bois. Au départ, ces façades portaient des messages de protestation sous forme de graffitis engagés. Plus tard, les autorités municipales les ont recouverts de peinture dans des tons neutres et fades. Pour Weems, cet acte symbolise une forme d’effacement de l’expression politique. Photographiées par l’artiste, ces façades monochromes prennent alors l’apparence d’œuvres abstraites, rappelant les peintures de Mark Rothko ou Barnett Newman. Mais leur contexte leur donne une signification bien plus politique.
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En tentant de nettoyer l’espace public et d’effacer les signes de contestation, la ville a transformé ces murs en surfaces vides. Carrie Mae Weems leur donne une nouvelle vie, une nouvelle voix. A leur vue, on s’interroge forcément. Qu’y avait-il sous cette peinture ? Quelles voix ont été réduites au silence ? Ce vide apparent reflète ainsi la tension entre la mémoire et l’oubli.
Depuis longtemps, Weems explore dans son art les thèmes de race et d’identité. « Painting the town » ne fait pas exception. En présentant ces façades repeintes comme des œuvres à part entière, elle attire l’attention sur la manière dont les structures de pouvoir façonnent l’espace urbain et contrôlent la visibilité des récits populaires. Son travail évoque une histoire plus large d’effacement aux États-Unis, où les voix marginalisées ont souvent été littéralement et symboliquement recouvertes.
Dans une récente interview, Weems a partagé son émotion en redécouvrant les rues de Portland transformées. Voir ces bâtiments barricadés et repeints lui a donné l’impression d’un décor post-apocalyptique. Elle décrit une atmosphère étrange, à la fois apaisée et troublante. « Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais, j’ai tout de suite compris que c’était d’une importance capitale », a-t-elle déclaré. « Les artistes ont une responsabilité. Mon travail est reconnu, il a un impact, et j’ai le devoir de m’exprimer d’une manière précise. »
Au-delà de son message esthétique et politique, « Painting the town » pose la question du rôle de la photographie dans la mémoire collective. Cette série s’inscrit aussi dans la continuité de l’engagement de Weems pour la justice et contre la répression de la communauté noire-américaine. En transformant des paysages urbains ordinaires en déclarations politiques, elle rappelle que cette quête est toujours en cours — et que même le silence peut en parler avec puissance.
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« Painting the town », de Carrie Mae Weems, est exposée à la galerie Fraenkel de San Francisco, jusqu’au 22 février 2025.