Dans les annales des photographes de guerre, Catherine Leroy se distingue par un palmarès incomparable. Pionnière, elle a ouvert la voie aux femmes photographes, pour lesquelles elle est toujours un modèle, sinon une légende.
Les travaux de la photojournaliste française ont été publiés dans des magazines aussi prestigieux que Life, Look, Time et Paris-Match. Elle a été la première femme à remporter le prix George Polk de la photographie d’actualité, qui lui a été décerné pour sa couverture de la bataille de la colline 881 au Vietnam en 1967.
Catherine Leroy a également été la première femme à recevoir la médaille d’or Robert Capa, qui lui a été décernée pour sa couverture de la guerre civile libanaise en 1976. Elle a remporté le Prix de l’Image de l’Année décerné par la National Press Photographers Association en 1987 pour son reportage sur le bombardement de Tripoli, en Libye. Et en 1997, elle a reçu le Honor Award for Distinguished Service in Journalism de l’université du Missouri.
Catherine Leroy, un modèle du photojournalisme
Durant toute sa carrière, Catherine Leroy a parcouru le monde, couvrant des sujets de l’Asie du Sud-Est à l’Afrique en passant par le Moyen-Orient. Elle a été le seul photographe civil, et la seule femme, à sauter en parachute au Vietnam, en 1967, dans le cadre de l’opération Junction City. Elle était à Woodstock.
Elle a co-réalisé avec Frank Cavestani le documentaire Operation Last Patrol sur Ron Kovic et d’autres vétérans américains qui ont traversé les Etats-Unis de Los Angeles à Miami pour protester contre la guerre lors de la Convention nationale républicaine en 1972. En 2002, elle a créé le site web « Under Fire : Images from Vietnam », qui rassemble les travaux d’autres photographes et écrivains ayant couvert la guerre. Et en 2005, un livre a été publié par Random House.
La carrière de Catherine Leroy commence en février 1966, quand elle atterrit, seule, au Vietnam avec un aller simple. Le temps passé à photographier la guerre la fait accéder aux échelons supérieurs de la hiérarchie des photojournalistes. C’est cette histoire que Mary Cronk Farrell raconte dans son nouveau livre Close Up On War : The Story of Pioneering Photojournalist Catherine Leroy in Vietnam.
Mais contrairement à de nombreux autres ouvrages sur les photographes et les journalistes de la guerre du Vietnam, celui-ci s’adresse spécifiquement aux jeunes adultes.
Comme l’explique Cronk Farrell, « Catherine s’est envolée pour le Vietnam à 21 ans, à peine plus âgée que les jeunes pour lesquels j’écris. Je pense que les lecteurs pourront s’identifier et apprécier combien il était incroyable de s’envoler pour l’autre bout du monde, où elle ne connaissait personne, afin d’entamer une carrière comme la sienne, en passant d’une connaissance quasi nulle de l’utilisation d’un appareil photo à une maîtrise de la photographie de guerre en très peu de temps. »
Cronk Farrell est quant à elle venue à l’écriture après une carrière à la radio et à la télévision, au service actualités. Mais pour prendre soin de leurs enfants, elle et son mari ont adopté un style de vie plus tranquille, quittant la télévision. Son désir de raconter des histoires en mots et en images ne l’a pour autant pas quitté. « J’ai toujours été une lectrice vorace, et les livres ont occupé une place importante dans ma vie d’enfant, si bien qu’écrire des ouvrages pour la jeunesse m’a semblé tout naturel. »
Redécouverte d’une icône
Si l’histoire de Catherine Leroy est bien connue dans certains milieux, elle ne l’est pas aussi largement qu’elle devrait l’être. Cronk Farrell est tombée dessus par hasard. « Je suis toujours à l’affût d’histoires sur le destin de femmes qui n’ont pas été racontées, car je tiens une lettre d’information et un blog sur le sujet depuis près de dix ans. Lorsque je suis tombée sur Catherine Leroy sur internet, j’ai tout de suite été emballée, chaque clic me conduisant à des informations toujours plus incroyables. »
« J’ai d’abord été attirée par sa bravoure », poursuit l’autrice. « Et très vite, j’ai trouvé injuste qu’elle soit si peu connue malgré son illustre carrière et son travail de nombreuses fois récompensé. »
Mais ce qui a décidé Mary Cronk Farrell à consacrer à Catherine Leroy un livre, c’est la découverte que la photographe avait écrit régulièrement à sa famille pendant qu’elle couvrait la guerre. Et que ces lettres ont été conservées.
« Lorsque j’ai découvert que Catherine écrivait à ses parents pendant qu’elle était au Vietnam, et que je pouvais y avoir accès, j’ai décidé que cette histoire méritait plus qu’un simple billet de blog. Grâce à ses lettres, j’ai découvert à travers ses propres mots ce qu’elle a vécu comme photographe de guerre pendant les heures les plus noires de la guerre du Vietnam. J’ai appris ce qu’elle ressentait en tant que femme dans ce qui était à l’époque une profession presque exclusivement masculine. En tant qu’historienne, c’est ce qui me permet d’écrire le genre d’histoires que j’aime, des histoires où nous pouvons voir, entendre et ressentir le passé comme si nous y étions. »
Catherine Leroy : le Vietnam en deux histoires
En racontant le séjour de Catherine Leroy au Vietnam, deux récits ont particulièrement marqué Mary Cronk Farrell.
Le premier, celui du jour où Catherine Leroy est entrée dans le bureau de Horst Faas, le célèbre chef de bureau de l’Associated Press. Faas avait vu beaucoup de photographes en herbe. Et voilà que Leroy arrive, un peu moins d’un mètre cinquante sous la toise, et selon Faas, que cite Cronk Farrell, « une jeune fille timide, maigre, à l’air très fragile … Elle avait une jolie natte dans le dos. » Tous les hommes du bureau s’arrêtent alors pour la dévisager.
Faas lui demande si elle a de l’expérience, et Catherine Leroy répond par l’affirmative, en lui mentant. Faas tente sa chance en lui donnant trois bobines de film et en lui disant que si elle lui rapporte des photos publiables, il la paierait 15 dollars chacune.
Cronk Farrell explique : « Ce n’est pas l’une des histoires les plus passionnantes de Catherine, mais j’aime ce petit moment de sa carrière. Le courage et l’ambition dont elle a fait preuve ont construit sa légende. »
Le second est beaucoup plus dramatique. « Celui du jour où elle et un autre photographe français sont capturés par des soldats nord-vietnamiens lors de la bataille de Hué, pendant l’offensive du Têt. Leurs ravisseurs confisquent leurs appareils photo et les attachent. Un prêtre traduit alors les propos de Catherine : ils sont journalistes français. Le fait de les convaincre qu’elle ne travaillait pas pour les Américains lui a peut-être sauvé la vie. Lorsqu’un officier arrive, on les détache et on leur rend leurs appareils. Catherine leur explique qu’elle veut immortaliser le succès de l’armée nord-vietnamienne lors de cette bataille. Les Nord-Vietnamiens acceptent et elle prend quelques photos pendant que les bombardements américains continuent et que les Marines américains se rapprochent. Catherine et son ami sont libérés. Les photos de Catherine et l’histoire de sa capture et de sa libération ont fait la couverture du magazine LIFE, ce qui, à l’époque en Amérique, était le summum de la notoriété pour tout photographe. »
Montrer l’importance du journalisme
Plus de cinquante ans après, l’histoire de ces temps-là et du travail de Catherine Leroy au Vietnam résonne en cette ère numérique, où les gens ont en général une piètre opinion des journalistes et du journalisme et où le terme fake news est largement répandu.
Pour Cronk Farrell, « le plus important dans l’histoire de Catherine Leroy est qu’elle démontre le rôle crucial du journalisme et pourquoi la liberté de la presse est un élément fondamental de notre société. À l’heure des fake news et tandis que nombreux sont ceux qui ne comprennent pas la différence entre un fait et une opinion, l’histoire de Catherine Leroy est un exemple de la différence entre fake news et journalisme. Depuis le début de la couverture médiatique moderne, Catherine et d’autres journalistes ont risqué leur vie, et sont même morts en rassemblant des faits et en prenant des photos pour informer le peuple américain. Leur travail est encore plus dangereux aujourd’hui qu’à l’époque de Catherine. »
Mais finalement, Mary Cronk Farrell espère que l’histoire de Catherine Leroy, son travail et sa vie, inspireront ceux qui liront le livre. « Mon souhait est que cet ouvrage ait une vraie signification pour les jeunes et qu’ils comprennent mieux à quel point le journalisme est fondamental pour notre démocratie et que des reporters et des photographes ont risqué et parfois sacrifié leur vie pour cette cause. »
Close Up On War: The Story of Pioneering Photojournalist Catherine Leroy in Vietnam sortira le 22 mars aux éditions Abrams Amulet.
Pour en savoir plus sur le travail de Catherine Leroy, on peut consulter le site du Fonds Catherine Leroy, qui vise à préserver, présenter et promouvoir l’œuvre de la photojournaliste.