Graz, 1978. Seiichi Furuya rencontre Christine Gössler et le jeune couple décide pour leur premier voyage de se rendre à Bologne. Quarante ans plus tard, Seiichi Furuya retrouve des bobines de films super 8 de ce périple dans son grenier et il décide de les visionner alors que le Covid commence à se propager en Europe. On dit que les personnes âgées sont les plus susceptibles de mourir de ce virus. Né en 1950, Seiichi Furuya se sent appartenir à cette génération et se cloître chez lui. « Quand j’ai réfléchi à la façon dont ce « vieil homme » allait s’occuper seul à la maison, j’ai tout de suite pensé à un livre de photographies. »
L’histoire de Christine Gössler et Seiichi Furuya commence quand Seiichi quitte en 1973 le Japon pour l’Europe à bord du transsibérien. Arrivé en Autriche, il s’installe d’abord à Vienne avant de déménager à Graz où il rencontre Christine en 1978 avec qui il aura un enfant en 1981. À partir de 1982, Christine Gössler montre des signes de schizophrénie. Seiichi Furuya la photographie beaucoup. Le 7 octobre 1985, elle se suicide, se défenestrant à Berlin-Est. Seiichi n’a depuis jamais cessé de revisiter ses archives et son histoire avec Christine. Cette démarche se présente sous forme d’une série de cinq livres intitulés Mémoires, publiés entre 1989 et 2010, et de Face to Face, livre édité par Chose Commune en 2020.
Dans le dernier ouvrage First trip to Bologna 1978 / Last trip to Venice 1985, Seiichi Furuya poursuit son travail de mémoire et présente un livre à parcourir dans les deux sens. C’est Cécile Sayuri Poimboeuf-Koizumi, l’éditrice de Chose Commune, qui lorsqu’elle découvre les premières images du nouveau livre, First trip to Bologna 1978, sur lequel travaillait le photographe ne peut pas s’empêcher de penser à un autre livre, Last trip to Venice 1985, que Seichii avait autoédité en 2002. « À l’époque du voyage, elle souffrait de syndromes psychotiques été et avait été relâché de l’hôpital psychiatrique la veille. Dans la soirée, elle avait soudainement dit qu’elle voulait partir et être seule avec moi. En voyant qu’il y avait un train de nuit pour Venise, on a couru jusqu’à la gare avec pour seuls habits ceux que nous portions ce jour-là. » Seiichi photographiera à Venise les derniers jours de Christine avant son suicide.
Cécile Sayuri Poimboeuf-Koizumi propose au photographe d’intégrer au sein du même ouvrage les deux voyages : le premier et le dernier. Le photographe accepte et permet à l’éditrice de composer un nouveau montage du séjour à Venise. Elle met en page ainsi une narration qui est la sienne. « J’ai joué avec les images, écrit Cécile Sayuri Poimboeuf-Koizumi, imaginant une nouvelle histoire, du moment où ils arrivent à la gare à celui où ils rentrent à Graz. De toute évidence, je n’ai aucun souvenir d’un voyage intime fait par deux étrangers il y a des années, bien avant que je sois née (…) Si la séquence que je propose dans ce livre, n’est que fiction, il se peut qu’il y ait certaines ressemblances et coïncidences avec la façon dont leur voyage s’est déroulé. Seiichi sera le seul à connaître la vérité, si l’on peut se fier à ses souvenirs. »
Ces deux récits sont constitués pour Last Trip to Venise 1985, de photographies et pour First trip to Bologna 1978, de captures d’écran d’images animées tirées des bobines que le photographe a retrouvées. « Les deux séjours ont eu lieu en Italie. Un voyage à Bologne, dont je ne me souviens pas du tout. L’autre voyage, à Venise, dont je me rappelle tout. Qu’est-ce qui distingue les deux voyages ? Il se pourrait que la différence entre images animées et images fixes, entre film et photographie, ait joué un rôle et que cela ait affecté ma mémoire. » À côté des images de Venise consacrées principalement à des portraits de Christine, Seiichi réalise pour Bologne une série qui se traverse comme un film,un film très nouvelle vague où politique et errances adolescentes s’enchaînent. L’amour a l’air de traverser chaque image, d’être à chaque coin de rue, dans les chambres d’hôtels et devant les cabines téléphoniques dans une réécriture de l’histoire dont même le photographe ne discerne plus la réalité de la fiction. « Pendant un instant, j’ai eu l’illusion que notre voyage à Bologne commencerait maintenant. Une histoire un peu scandaleuse et pleine de mystères. Avec, malgré tout, un délicat parfum de printemps. »
First trip to Bologna 1978 / Last trip to Venice 1985 de Seiichi Furuya est publié par Chose Commune, 192 pages, 45€