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Changsha, le livre de Rian Dundon, perdu et retrouvé

Pendant six ans, Rian Dundon a photographié la vie dans la ville de Changsha, en Chine centrale. Mais dès la publication du livre rassemblant ses photos, en 2012, l’éditeur a fait faillite, et le sort des exemplaires non distribués est resté inconnu durant la décennie suivante.
Changsha
Des piétons marchent le long des voies ferrées à la sortie de la ville de Jishou, dans la province du Hunan, Chine en 2005. © Rian Dundon

En 2005, à 24 ans, le photographe Rian Dundon met les pieds pour la première fois à Changsha, en Chine. Sur une carte, la ville se trouve au nord-est de la province du Hunan, au nord de Hong Kong et au sud-ouest de Pékin.

Dundon écrit sur la ville et sur ce qu’il y a vécu : « Changsha était une métropole tentaculaire de béton et de néon, imprégnée d’une énergie qui me donnait le vertige. Six millions de personnes vivaient dans une ville littéralement construite sur ses propres cendres et j’ai trouvé cela passionnant. J’ai fait de mon mieux pour tout absorber, chaque expression de la langue locale, chaque information ou chaque offre culinaire. Et j’ai photographié, encore et toujours. Mais avec le temps, je n’étais plus seulement un visiteur ou un journaliste. Sans histoire à couvrir ou délai à respecter, j’ai décidé de m’engager avec les gens que je rencontrais et à rester ouvert à différents modes d’expérience. Prendre des photos était un moyen d’interagir avec le monde extérieur. Une façon de contribuer au dialogue avec autrui. »

Changsha
À la maison avec les graffeurs, Changsha, province du Hunan, Chine, en 2008. © Rian Dundon

Dundon est venu pour enseigner l’anglais, sans intérêt particulier ni expérience de la langue ou de la culture chinoise. On lui offre un boulot, et n’ayant rien d’autre à faire, jeune et sans contraintes, il accepte le poste. Engagé pour un an, il y reste finalement six ans.

Comme beaucoup, au début des années 2000, il est intrigué par le pays. La Chine connaît alors une croissance rapide et l’économie est en plein essor. Des villes sont construites, toutes sortes de nouveaux gratte-ciel tape-à-l’œil émergent et l’argent coule à flots. La Chine est également en train de devenir une superpuissance mondiale. Durant son séjour à Changsha, Dundon apprend le mandarin, ce qui lui permet d’explorer davantage et de photographier ce qu’il voit. Il ne cherche pas les clichés stéréotypés de la Chine : soldats, affiches de Mao, lignes d’horizon futuristes et autres sujets du même topo.

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Dans les coulisses du Night Cat, un bar et cabaret gay à Changsha, dans la province du Hunan, en Chine, en 2007. © Rian Dundon

« Je voulais rencontrer les gens et prendre des photos de choses qui m’intéressaient. À l’époque, les médias regorgeaient d’opinions sur l’économie et le développement florissants de la Chine, et je suppose que j’étais curieux de constater par moi-même. Mais à mon avis, la photographie est toujours plus ambiguë que de faire un bilan ou de raconter une histoire particulière. »

En 2012, le livre des photographies de Dundon prises pendant ces années dans la ville est publié sous le titre Changsha par un éditeur français. Mais pour des raisons inconnues, l’éditeur fait faillite. Quelques exemplaires du livre, sur un tirage de 1000, sont diffusés dans le monde. Les autres disparaissent, et sont perdus à tout jamais, pense Dundon.

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Funeral producers prepare a bubble machine ahead of a burial at the Hunan Revolution Cemetery in Changsha, Hunan Province, China in 2011. © Rian Dundon

Alors que le mystère reste entier sur le sort de ces livres, Alan Chin intervient.

Alan Chin, lui-même photographe et directeur de Jet Age Books, rencontre Dundon pour la première fois à New York. Les deux photographes suivent le cursus de photographie de la Tisch School of the Arts de l’université de New York. Mais Dundon étant plus jeune que Chin, ils ne se connaîtront pas durant leurs études.

Lorsque Chin travaille en Chine en 2008 et 2009, voyageant à travers tout le pays, il cherche à rencontrer Dundon. Comme le raconte Chin : « Imaginez ma surprise lorsque j’ai vu comment Rian se promenait sur la scène chinoise, travaillant généralement avec un seul appareil photo (peut-être un objectif supplémentaire caché dans une poche arrière) et quelques bobines de film. Son mandarin était suffisamment courant pour qu’il soit parfois mon traducteur – la surprise des Chinois du Nord voyant qu’un Blanc traduisait leur mandarin à un autre Chinois était hilarante –, mais il était si doué pour cela et pour mettre les gens à l’aise qu’ils cessaient d’y penser en deux secondes. »

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A ship captain pilots a sand-dredger up the Xiang River, Changsha, Hunan Province, China in 2011. © Rian Dundon

Des années plus tard, Dundon reprend ses études supérieures et vit désormais sur la côte Ouest avec femme et enfant. Mais il n’a pas oublié son livre, ni les exemplaires disparus après la faillite de l’éditeur. Ont-ils été détruits ? Abandonnés quelque part ? Sont-ils perdus à tout jamais ?

Dundon parle à Chin des livres et de sa quête. Chin décide alors de les retrouver. « L’idée m’est venue parce que Rian pensait que c’était l’une de ces histoires inéluctables de la vie, comme le Mur de Berlin. Il me l’avait raconté il y a des années et en était très triste. Mais je me suis dit que si le Mur de Berlin pouvait tomber, on pourrait retrouver les livres. »

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Music fans at the 46 Bar, a hub for the Punk and Indy live music scenes, in Changsha, Hunan Province, China in 2008. © Rian Dundon

Dundon raconte l’histoire ainsi : « Au crédit d’Alan, c’est lui qui a eu l’idée d’aller à la recherche des livres – j’avais abandonné l’espoir de les retrouver un jour. Alan a toujours été un fervent partisan de ce livre, il m’avait même aidé à le concevoir. Alors, quand il a lancé Jet Age et qu’il m’a proposé de rechercher les exemplaires de Changsha, j’ai su que cela devait se faire. Peu de personnes dans ce secteur montrent comme lui autant de volonté et d’engagement vis-à-vis de notre métier de photographe. » 

Puis en 2021, après de nombreuses recherches, les livres sont localisés. Retrouvés dans un sous-sol du sud de la France, encore scellés à leur palette d’expédition. Lorsque je demande à Chin comment ils ont été découverts, tout ce qu’il répond, c’est : « Comment avons-nous trouvé les livres ? Je peux vous assurer qu’aucun humain ou animal n’a été blessé en cours de route. »

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Une femme pose dans la cage d’escalier de son immeuble, dont les murs sont recouverts de publicités vantant les services de commerçants locaux, à Changsha, dans la province du Hunan (Chine), en 2008. © Rian Dundon

En raison de la pandémie de Covid-19, de la nécessité d’alléger certaines formalités administratives et de quelques retards d’expédition, les livres sont arrivés au début de l’année 2022, soit dix ans après qu’on ait craint qu’ils soient perdus.

Mais l’importance des photographies de Dundon, qui ont permis de capturer une époque unique en Chine, aujourd’hui révolue, n’a pas diminué au cours de la décennie. Selon Chin : « Comme le montrent si bien les photos de Rian, cette croissance économique s’est accompagnée d’une éclosion culturelle, ou devrais-je dire contre-culturelle. À l’instar de l’East Village des années 90 où j’avais rencontré Rian, la Chine des années 2000 comptait des bars clandestins, des salons de tatouage, des salles de billard, du street art et de la musique transgressive. C’était une scène retentissante et bon marché de jeunes gens qui s’essayaient pour la première fois à la liberté. C’est une histoire universelle dans toutes les sociétés – mais à laquelle personne au pouvoir en Chine n’avait encore pensé. Cela n’a pas duré longtemps. Alors que l’économie chinoise a mûri et est confrontée à des problèmes plus importants de corruption, de pollution et maintenant de stagnation, le parti-État est revenu à un modèle plus autoritaire de contrôle social. Cette histoire n’a pas totalement disparu ; l’expression culturelle ne disparaît jamais. Mais elle ne dégage certainement plus ce sentiment libertaire et romantique. »

Changsha de Rian Dundon, Jet Age Books, 50€.

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Des fans de musique s’abritent sous une tente pendant une tempête de pluie lors d’un festival d’été à Changsha, dans la province du Hunan, en Chine, en 2011.
© Rian Dundon
Changsha
Des étudiants d’université contournent les nouvelles restrictions de sécurité à l’université de Jishou après les grandes émeutes anti-corruption qui ont fermé le centre ville de Jishou City, dans la province du Hunan, en Chine, en 2008. © Rian Dundon

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