Au cours des 85 dernières années, Adger Cowans n’a pas seulement été un témoin de l’histoire – il a contribué à la façonner. Premier photographe noir admis à l’International Photographers and Motion Picture Union, Local 600, en 1969, Adger Cowans a été le photographe de plateau de films marquants tels que Claudine, Eyes of Laura Mars, Gloria, Dirty Dancing, Boomerang ou encore Juice.
Tout en innovant avec son travail commercial, Cowans poursuit simultanément sa passion pour les beaux-arts. Figure de proue du mouvement artistique noir, il est membre fondateur dans les années 1980 de Kamoinge Workshop et AfriCOBRA, deux collectifs négligés par le monde de l’art jusqu’à ces dernières années.
« Les gens de mon époque n’ont pas eu droit à leur part du gâteau », raconte Cowans. « David Hammons en a croqué un morceau tout seul, mais beaucoup de personnes de ma génération, qui ont aujourd’hui entre 60 et 90 printemps, n’ont eu droit à rien. Et pourtant, certains sont encore en vie. Nous n’étions pas des grandes fêtes, pas plus que nous n’avions droit aux honneurs des critiques. J’ai sans doute mieux tiré mon épingle du jeu parce que j’avais un agent et que je travaillais pour le New York Times et le Time. »
Aujourd’hui, l’exposition « Sense and Sensibility », est l’occasion pour la commissaire invitée, Halima Taha, de revenir sur les six décennies de photographie de Cowan. Paysages, portraits, nus, photos de rue ou œuvres conceptuelles dévoilent une chronique intimiste de la vie des Noirs américains au XXe siècle.
« Adger Cowans n’est pas seulement l’un des meilleurs photographes américains, il est aussi l’un de ses meilleurs peintres », remarque Gordon Parks. « Son œil vif et sensible va droit au but : lieux et moments qui façonnent les joies de l’existence, aussi bien que la part sombre du quotidien. Souvent, un talent comme le sien se heurte au conformisme ambiant, mais sa singularité le distingue, peut-être portée par ses convictions. »
Trouver sa voie
Adger Cowans grandit à Columbus, dans l’Ohio, et tombe dans la photographie par hasard. Son diplôme de fin d’études secondaires en poche, il décroche une bourse pour étudier la musique à Capital University. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévu. L’école exige qu’il se remette d’abord à niveau en mathématiques et en anglais ; Cowans décide alors de prendre une autre voie. Un jour, feuilletant un magazine, il apprend que l’université de l’Ohio propose un cursus en photographie. « J’ai trouvé ça formidable et ça m’a paru évident », se souvient-il en riant. « Je l’ai dit à mon père, qui m’a lancé : “C’est ridicule, tu comptes aller à l’université pour étudier un passe-temps ?” »
À l’époque, la photographie n’était pas considérée comme une profession, et encore moins comme un art. Ce qui n’arrête pas Cowans. Il s’inscrit à l’université de l’Ohio, alors que de nombreuses facultés refusaient encore les étudiants noirs. « La première année, j’ai fait ce que font la plupart des étudiants : la fête. En deuxième année aussi. La troisième, mon oncle m’a dit : “Pourquoi tu ne trouves pas un Noir qui fait ce que tu veux faire ?” Mais je n’en connaissais aucun. »
Un professeur lui recommande un certain Gordon Parks, seul photographe noir travaillant dans les médias blancs à l’époque. Cowans lui écrit avant d’aller le voir chez lui, à White Plains, dans l’État de New York. Et la Corvette bleue aux sièges en cuir blanc du photographe de LIFE ne manque pas de l’impressionner. « Il m’a dit de revenir quand je sortirai de l’école. A ce moment-là, j’ai compris qu’être photographe et immortaliser des choses avait un sens et je me suis totalement investi. »
L’alchimiste
Après l’obtention de son diplôme, Adger Cowans saute dans un bus pour New York, trouve une chambre au YMCA, près de Penn Station, et appelle Gordon Parks. Ce dernier invite le jeune photographe chez lui à White Plains et en fait son assistant à LIFE. « C’était comme un rêve devenu réalité. Gordon ressemblait beaucoup à mon père : il était discipliné et travaillait dur. »
Plutôt que de lui enseigner la photographie, Parks partage sa philosophie de la vie, montrant à Cowans comment canaliser une énergie négative en création artistique. « Une énergie négative, ça se paie. Si vous êtes optimiste et positif et que vous traitez les gens comme vous souhaitez l’être vous-même, neuf fois sur dix, il n’en ressort que du bon. Même si vous ne le voyez pas, cela s’en ressentira visuellement. »
Puis Cowans a l’opportunité de travailler auprès de Saul Leiter – opportunité qu’il ne pourra saisir parce qu’il est appelé sous les drapeaux, et il sera donc photographe dans la l’US Navy. Après son service militaire, la carrière de Cowans le mène sur les plateaux d’Hollywood où il photographie, entre autres stars, Diahann Carroll, Faye Dunaway, Jane Fonda et Katherine Hepburn, ainsi que des musiciens de jazz et autres artistes.
La sensibilité et la profondeur de Cowans sont sa marque de fabrique. Son cœur est son unique boussole. « Vous devez être là le premier – et ressentir douleur, joie, ou quoi que ce soit – pour le transmettre au spectateur », conclut-il. « C’est ce qui fait un artiste. »
L’exposition “Adger Cowans: Sense and Sensibility” est présentée au Fairfield Art Museum jusqu’au 18 juin 2022.