Clara Belleville vient d’avoir 26 ans. Elle a des yeux bleus – ou peut-être gris. Elle habite à Paris, non loin du métro Jourdain après avoir vécu dans la banlieue Ouest et en Espagne. Pour mieux connaître cette jeune femme sans impatience, aussi lucide qu’un personnage de Sagan, regardons son premier livre, Entre nous, paru cet été aux éditions Stromboli. Le titre est déconcertant, elle en convient, mais il lui plaît : « Quand on lit Entre nous, on fait déjà partie du livre. J’aime l’idée que l’intimité, je parle de l’intimité des sentiments, soit quelque chose de partageable. »
Sur la couverture, elle pose (nue) avec son « copain » (en caleçon). Ils sont en Grèce. Tous deux appartiennent à la troisième partie du livre, la plus secrète. La première est consacrée aux amies filles, la deuxième aux amis garçons. Que se passe-t-il au long de ces pages ? « Rien, répond-elle, il ne se passe jamais rien. Aucune mise en scène, aucun instant crucial, pas de fêtes ni de gâteaux d’anniversaire, tout est en suspens. C’est l’été, on a le temps de vivre. Il y a huit ans d’écart entre mes portraits, en 2013, le premier, le dernier en 2021. J’ai toujours cru que la photographie permettait de tout garder avant que tout ne disparaisse. »
Quand son frère lui a offert un appareil-photo, elle l’a reçu comme « une seconde mémoire ». Première exposition au lycée en 2012, elle a 16 ans : « des photos de nuit, au flash, mes ami(e)s, les soirées, rien de spécial… » Que faire après son bac S ? Architecte ? Ingénieure ? Elle passe des concours, et tout lui arrive « naturellement ». Ce sera Gobelins, l’école de l’image. Trois ans d’étude, deux profs principaux, Jérôme Jéhel et Ricardo Moreno. Qu’a-t-elle appris ? « La retouche, le scan des négatifs, le tirage, et la technique même de la photographie ». La lumière ? « Je l’ai surtout apprise en assistant Paolo Roversi, un technicien exceptionnel, d’une rare flexibilité, et qui connait parfaitement la lumière. »
Est-ce vrai qu’il ne se passe rien dans Entre nous ? Pas tout à fait. Même si elle n’a pas mythifié le quotidien de ces jeunes gens, très dolce vita, Clara Belleville les a isolés. Un peu comme des papillons sous cadre. Rien ne transparaît des paysages traversés, ou de leurs pensées, elle se place en retrait, ni complice, ni voyeuse. Le plus difficile à photographier, fille ou garçon ? « Les filles se crispent et se recoiffent ; les garçons sont moins gênés, ils posent, et puis ils oublient l’appareil-photo. »
Ce qui est beau dans ce livre ensoleillé, ce sont les débordements, quand Clara Belleville paraît briser l’échelle des corps. Ainsi ces dos masculins devenus céramiques, presque intouchables, qui réfléchissent une lumière magnifique. Soudain, dans cette disproportion volontaire, qui pourrait n’être qu’un effet dont raffolent les stylistes, on sent combien cette jeune femme est en mouvement. Et ce n’est pas étonnant qu’elle relie son univers au cinéma plus qu’à la photographie : « J’aime bien Éric Rohmer. Il y a une certaine lenteur dans ces films, c’est très calme. Oui, je pourrais faire du cinéma, un jour… »
Entre nous, Clara Belleville, éditions Stromboli, 132 pp., 74 photographies, 50 euros.