Passer de longues semaines à traquer, dans les forêts sibériennes, les traces du tigre de l’Amour. Trouver le cadre propice, un lieu discret où installer son matériel sans éveiller les soupçons de la bête. Savoir qu’on n’a que peu de chance d’apercevoir le félin solitaire. Il n’en reste plus que 500 dans les forêts de Russie. Mais avoir une idée fixe : photographier, tant qu’on le peut encore, cet animal menacé. Et puis, au bout de dix longs mois d’attente, le moment de grâce. Devant vous, l’animal se frotte contre un tronc d’arbre pour y laisser une odeur, des poils, de l’urine : autant d’informations vitales pour la survie des membres de l’espèce. C’est ainsi que Sergey Gorshkov a obtenu le prix du Wildlife Photographer of The Year 2020.
Le prestigieux concours organisé par le Natural History Museum britannique récompense depuis 1965 les meilleurs photographes animaliers du monde entier. Ce qui n’était à l’époque qu’un prix organisé par Animals Magazine (devenu BBC Wildlife) est aujourd’hui une institution incontournable de la photographie de nature qui reçoit plus de 45 000 candidatures par an.
En quarante-cinq ans, le prix n’a jamais dérogé à sa valeur maîtresse: « promouvoir la photographie animalière afin de servir la cause des animaux et aider à leur protection ». Et cet ambitieux programme devient tous les ans plus nécessaire et plus complexe.Pour l’édition 2020, le Wildlife Photographer Of The Year réfléchit à l’anthropocène, notre ère de l’histoire marquée par les changements naturels et climatiques provoqués par l’activité humaine. Les photos lauréates soulignent les relations d’interdépendance et de ressemblance entre les hommes et la nature afin de nous mettre face à ce que nous détruisons et nous pousser à agir.
Le lauréat de la catégorie « Portraits d’Animaux », Mogens Trolle, nous rappelle la grande familiarité qui existe entre nous et les primates. Le jeune singe Nasique qu’il a photographié de profil a une expression de sérénité presque humaine. Cette espèce, endogène à l’île de Bornéo, est en rapide déclin.
Pour photographier les animaux, il faut aller à leur rencontre, se fondre dans leur habitat naturel, savoir se faire discret. Quelquefois, cependant, ce sont eux qui viennent vers le photographe. La photo étonnante d’Alex Badyaev le prouve. Le biologiste parti étudier la Moucherolle des ravins sur les Montagnes Rocheuses du Montana a été surpris de constater que l’oiseau qu’il recherchait avait choisi de faire son nid sur la fenêtre de sa propre cabane. Alex Badyaev cache son appareil photo dans le tronc d’un vieil arbre avoisinant et prend, à distance, depuis son canapé, une photo de l’animal, dans laquelle il apparaît aussi. Un selfie avec l’objet de ses recherches !
De nos jours, il existe de nombreuses interactions entre les animaux et les hommes. Sur tous les continents, nous chassons les animaux sauvages pour nous nourrir, nous vêtir ou nous guérir, avec, parfois, les conséquences dramatiques que nous savons. L’année 2020 a prouvé le danger du trafic d’espèces animales, des marchés illégaux où les virus peuvent circuler d’une espèce à l’autre. C’est aussi le sujet de la photo de Paul Hilton, où l’on voit un macaque à queue de cochon enchaîné à une cage dans un marché de Bali. Ces primates dynamiques et sociables sont chassés hors de leurs habitats naturels par la déforestation et vendus comme animaux de compagnie. Le regard triste du singe captif est rendu plus expressif par la technique d’exposition longue privilégiée par le photographe.
L’une des particularités du Wildlife Photographer of The Year est que le concours veille à nourrir les jeunes vocations. Tous les photographes, même (très) jeunes ou inexpérimentés, sont encouragés à participer. Andres Luis Dominguez Blanco est le lauréat de la catégorie des moins de dix ans. Le jeune photographe exhibe déjà certaines des qualités nécessaires à la photographie animalière. Intrigué par le chant des Saxicola Rubicola (une espèce de passereaux), il demande à son père de le conduire vers une clairière où ils sont nombreux. Accroupi sur la banquette arrière de la voiture de son père, l’objectif sur le rebord de la fenêtre ouverte, Andres Luis Dominguez Blanco attend. Il remarque ce beau spécimen mâle, perché sur une tige qui ploie sous son poids. Depuis les clairières andalouses, le photographe reproduit l’expérience de Sergey Gorshkov dans les forêts sibériennes : l’attente, l’espoir et la joie que connaissent bien tous les photographes animaliers, et c’est cette expérience qui est à l’honneur dans le palmarès du Wildlife Photographer Of The Year.
Par Joy Majdalani
Joy Majdalani est une rédactrice et créatrice de contenu libanaise basée à Paris. Elle écrit sur la technologie, l’art, la culture et les questions sociales.
Vous vous sentez l’âme d’un photographe de nature ? Vous pouvez participer à l’édition 2021 du Wildlife Photographer Of The Year jusqu’au 10 décembre 2020, 11:30 GMT !