L’autocratie a le vent en poupe. Affirmation peut-être évidente, mais qui s’enracine de plus en plus fermement dans le présent, même si l’on salue le passé d’une main tremblante. D’Attila le Hun et Genghis Khan, en passant par Napoléon, Staline et Hitler, et plus récemment Hussein, Assad et Orban, les régimes autocratiques se sont embrasés et menacent l’ordre des nations souveraines à travers le monde. Si l’on ajoute à cela une série d’indicateurs troublants sur la volatilité actuelle du système politique américain, il est clair que l’autocratie n’a jamais disparu.
Quelle que soit la forme qu’elle prend, l’idée qu’un pouvoir illimité puisse être détenu par un seul individu constitue l’épine dorsale du dernier livre d’Arthur Grace, Communism(s) [Damiani 2022], ouvrage sobre et définitif qui jette un regard acéré sur une grande partie de l’ordre mondial d’il y a à peine cinquante ans.
Dans les années 1970 et 1980, Grace était photographe itinérant et, comme il le raconte en introduction de son nouveau livre : « En raison du nombre limité de visas, à une certaine époque, très peu de photojournalistes occidentaux ont pu entrer dans ces pays. Par conséquent, la plupart de mes images sont uniques pour la simple raison que j’étais le seul photographe sur place. »
On peut débattre de la question de savoir si le communisme est purement autocratique, mais à l’époque où Arthur Grace a commencé à prendre des photos derrière le rideau de fer, il y avait plus de trente-cinq pays dans le monde vivant sous régime communiste. En effet, ce (ou ces) Communisme(s) s’était répandu aux quatre coins de la planète et régentait la vie de plusieurs milliards de personnes, avant la chute de l’URSS en 1991.
Au premier coup d’œil sur les images classiques, en noir et blanc, d’observation-et-de capture du livre de Grace, un élément familier réside dans l’exposition de portraits plus grands que nature qui accompagnent la fadeur des villes traversées par Grace. Les visages sévères des élus et des membres des différents politburos dont la tâche est de veiller à la mainmise du communisme sur la société créent un sentiment de menace, comme si Big Brother surveillait les moindres gestes de chacun.
Grâce à l’accès qui lui a été accordé, la nécessité de distraire et de s’évader, et son habileté, ce journaliste intelligent a pu recueillir subrepticement des images de vies vécues derrière la lourde emprise du rideau de fer. Parmi les premières photos du livre, deux sont particulièrement frappantes : celles de plusieurs milliers d’hommes et de femmes en tenues sombres, en train de célébrer joyeusement le centenaire de l’État « indépendant » de Roumanie en 1977, et d’applaudir Nicolae Ceausescu, chef du parti communiste local, au pouvoir depuis vingt-quatre ans.
Il apparaît clairement – à la lecture du livre – que le flux d’images, mis en pages par Arthur Grace et Clint Woodside, le directeur artistique, se répartit en trois catégories : le pouvoir militaire assorti de l’inévitable uniformité de la vie sous le contrôle de l’État ; le rendement misérable des cultures qui oblige les gens à faire de longues queues pour passer d’une subsistance basée sur la terre à celle d’une société contemporaine ; et enfin des photos documentant l’arrivée de Solidarność en Pologne (premier syndicat indépendant dans un pays du bloc soviétique), accompagnées de clichés de jeunes gens cherchant à se libérer de l’oppression, idée inspirée de l’Occident.
La cohésion qui se dégage de ces images permet d’appréhender les changements historiques qui traversaient l’Europe de l’Est à l’époque, tout en rendant hommage à des modes de vie séculaires. Du fait de ses structures, le communisme n’a pas profité de l’impact des progrès technologiques sur la croissance et l’expansion observées ailleurs dans le monde. Communism(s) est l’illustration que les choix d’un artiste nous permettent de comprendre la culture dans son ensemble, ce qui n’aurait sans doute pas été évident dans un ouvrage où plusieurs photographes auraient tenté de couvrir une période aussi importante de l’histoire.
Arthur Grace n’a pas utilisé de viseur d’angle ou de téléobjectif, préférant se fondre dans les situations auxquelles il a eu accès et, dans la grande tradition du photojournalisme, est souvent devenu une véritable petite souris. Par exemple, deux photos (pp. 144-145) prises lors d’un concours de beauté sont suivies d’une image sur une double page où l’on voit un bureaucrate de rang intermédiaire parler au téléphone, assis à un petit bureau, et surveillé par trois grands calendriers de « pin-up ».
De même, quatre images de Lech Wałęsa (pp.104-105) illustrent la création du syndicat Solidarité, accompagnées de photographies fascinantes de manifestants affrontant les autorités sous des nuages de gaz lacrymogènes. Des images de cette qualité montre l’œil d’une âme intrépide. Grace allie l’instinct du journaliste chevronné, au talent de l’artiste appareil photo en mains.
Alliant sa discrétion et son âme compatissante, ainsi qu’une humanité et un amour des petits moments qui racontent des histoires bien plus grandes, le photographe a réussi à réchauffer ce qui, de l’avis général, était un monde bétonné et froid, une vie sous régime autocratique qui a néanmoins survécu et prospéré, malgré les troubles et l’incertitude ambiante.
À travers cet objectif sur l’histoire, il n’est pas difficile d’opérer un parallèle avec l’invasion russe de l’Ukraine. L’empreinte autocratique de Poutine ressemble étrangement à celle du rideau de fer, où les braves gens d’une nation libre et démocratique sont assassinés au nom d’une forme de nettoyage ethnique.
Communism(s): A Cold War Album par Arthur Grace, éditions Damiani, 192 pages, $59,77.