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Daido Moriyama : une rétrospective

Le célèbre photographe japonais Daido Moriyama a défié les conventions de la photographie tout au long de ses 60 ans de carrière. Une monographie et une exposition de son travail explorent son parcours, et mettent en évidence son influence extraordinaire sur le langage de la photographie, ainsi que la manière dont ses photographies ont démocratisé le médium.

Daido Moriyama est sans doute le photographe le plus célèbre et le plus influent du Japon. Au cours de ses 60 ans de carrière, il a publié plus de 150 livres de son travail, autant prolifique qu’innovateur. Aujourd’hui, tandis qu’il fête ses 85 ans, une exposition itinérante et une monographie rendent hommage à son œuvre.

Daido Moriyama: A Retrospective rassemble 250 photographies de Moriyama, révélant sa carrière en constante évolution : ses premières publications du milieu des années 1960, axées sur l’occupation américaine et le théâtre expérimental, son expérimentation radicale de la fin des années 1960 et des années 1970, ses photos autoréflexives des années 1980 et 1990, et enfin son exploration continue des villes.

A Retrospective comprend également plus de 400 publications rarement vues de Moriyama, ainsi que des textes personnels du photographe. Le livre est complété par des textes d’éminents érudits japonais, Yuri Mitsuda, Toda Masako, Masashi Kohara, ainsi que par une chronologie de son œuvre réalisée par Yutaka Kambayashi, Satoshi Machiguchi et Kazuya Kimura. Il est publié par Prestel, en collaboration avec l’Instituto Moreira Salles au Brésil et la Daido Moriyama Photo Foundation au Japon.

Provoke #2, Tokyo, 1969. © DadoMoriyama / Dado Moriyama Photo Foundation.
Issu de la série “Provoke #2”, Tokyo, 1969. © DadoMoriyama / Dado Moriyama Photo Foundation.

Une oeuvre historique

L’exposition est présentée à Berlin jusqu’au 7 septembre  au C/O Berlin , puis sera accrochée à la Photographers Gallery de Londres du 6 octobre 2023 au 25 février 2024. Elle est organisée par Thyago Nogueira, chef du département de photographie contemporaine à l’Instituto Moreira Salles au Brésil. Nogueira, qui a découvert l’œuvre de Moriyama à la fois à travers des livres de l’artiste et quelques expositions, a entamé son travail sur lui lorsqu’il est entré à l’Instituto Moreira Salles et qu’il est devenu rédacteur en chef du magazine de photographie ZUM.

« J’ai suggéré au musée de montrer ce travail, leur disant que Moriyama était un très grand artiste photographe, et que l’on devait absolument voir son travail pour avoir une perspective sur l’histoire de la photographie différente de la vision américaine et européenne à laquelle nous sommes habitués. »

Tokyo, 1969. Issu de la série "Accident, Premeditated or not" ©Dado Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
Tokyo, 1969. Issu de la série “Accident, Premeditated or not” ©Dado Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation

Les recherches de Nogueira sur le travail de Moriyama ont été facilitées par une subvention de la fondation japonaise Ishibashi, qui lui a permis de se rendre au Japon et de consacrer du temps aux archives de l’artiste. Ainsi s’est-il plongé dans les ouvrages de Moriyama, tout en explorant leur lien avec son travail éditorial complexe dans les magazines japonais des années 1960.

« Son regard sur le Japon d’après-guerre était celui d’un photojournaliste. Mais peu à peu, Moriyama a commencé à se poser des questions de plus en plus profondes sur la nature de la photographie, le langage de la photographie »

Thyago Nogueira

Lorsque Nogueira contacte Moriyama avec l’idée de faire une exposition, celui-ci lui avoue ne jamais avoir envisagé être exposé dans un musée. Ce qui le passionnait, c’étaient les magazines, la page imprimée, les publications et la possibilité de reproduire une image à l’infini. Nogueira lui propose donc d’organiser une rétrospective de sa vie et de sa carrière, en mettant l’accent sur le contexte original de son travail.

« Techniquement, j’ai commencé par enquêter sur l’origine de ses images, des images très célèbres que nous connaissons par les livres. Je lui ai demandé où elles avaient été réalisées, et pourquoi. Et finalement, j’en ai trouvé la source dans les magazines, dans ces photos qu’il avait retravaillées tout au long de sa carrière. Donc une grande partie de mon travail a consisté à replacer ces images dans leur contexte. J’ai réalisé à quel point il avait changé, à la fois dans sa manière de considérer la photographie et le monde. »

Tokyo, c. 1971. © Daido Morivama / DaidoMorivama Photo Foundation
Tokyo, c. 1971. © Daido Morivama / DaidoMorivama Photo Foundation
Tokyo, 1971 © Dado Moriyama / DaidoMoriyama Photo Foundation
Tokyo, 1971 © Dado Moriyama / DaidoMoriyama Photo Foundation

Le regard d’un photojournaliste

Moriyama est né en 1938 à Osaka. En 1961, il s’installe à Tokyo pour rejoindre VIVO, un collectif de photographes influent. Mais le groupe se dissout rapidement et Moriyama devient l’assistant d’Eikoh Hosoe. Puis il commence à travailler comme photographe indépendant, se rendant souvent sur la base militaire américaine de Yokosuka, toute proche de Tokyo. Ses images sont publiées dans des magazines tels que Camera Mainichi, Asahi Camera ou Provoke, et elles trouvent rapidement un écho auprès du public.

En illustrant l’occupation militaire américaine du Japon après la Seconde Guerre mondiale, Moriyama interroge la tension entre la tradition japonaise et l’occidentalisation. Mais en même temps, il est influencé par des artistes américains tels que William Klein ou Andy Warhol.

«Son regard sur le Japon d’après-guerre était celui d’un photojournaliste. Mais peu à peu, Moriyama a commencé à se poser des questions de plus en plus profondes sur la nature de la photographie, le langage de la photographie. J’ai donc réalisé qu’à travers son fantastique travail photographique, il explorait le médium lui-même, et mettait son appareil au service d’une réflexion pédagogique, mais aussi conceptuelle, sur la nature de la photographie. »

Issu de la série "Pretty Woman", Tokyo, 2017. © Daido Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
Issu de la série “Pretty Woman”, Tokyo, 2017. © Daido Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation

Vers l’expérimentation

A Retrospective suit l’évolution de la vision de Moriyama, s’éloignant peu à peu du photojournalisme et de la photographie documentaire pour s’orienter vers l’expérimentation en s’impliquant dans la contre-culture japonaise.

Alors qu’il commence à douter de la capacité de la photographie à changer le monde, il s’intéresse à la reproduction, la diffusion et la consommation des images, jouant avec ses photographies, les changeant de contexte, les recadrant de différentes manières, modifiant la taille des tirages et leur résolution.

« On retrouve cela dans son livre intitulé Bye Bye Photography. Après avoir traversé une grande dépression, à la fin des années 1970, sa vision change, et il va concevoir d’une manière très différente le rapport entre la réalité et l’image, une manière très belle, très sensible – plus optimiste, aussi ; et tout en travaillant à Light and Shadow et Memories of a Dog, il questionne l’essence de la photographie et sa propre biographie, mais sous un angle vraiment nouveau. »

New York, 1971. © Daido Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
New York, 1971. © Daido Moriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
Issu de Letter to St-Loup, 1990. © DaidoMoriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
Issu de la série “Letter to St-Loup”, 1990. © DaidoMoriyama / Daido Moriyama Photo Foundation

Ainsi le travail de Moriyama sera-t-il une exploration du médium et de son propre moi – en même temps qu’une réflexion sur la réalité, la mémoire, et la ville, toujours.

« L’apport le plus radical de la photographie est le fait qu’elle est absolument horizontale par rapport à la réalité, et c’est une technique de réplication. C’est une simple machine à copier la réalité. Et plus cette relation devient directe, plus cette relation devient automatique, plus elle est radicale, inventive et intéressante. »

La beauté du langage photographique

À la conception occidentale et américaine, selon laquelle les photographies sont des objets précieux, destinés à être collectionnés et montrés en musée de manière très exclusive et parfois élitiste, Moriyama oppose une vision de la photographie beaucoup plus démocratique, dans la mesure où la photographie est reproductible à l’infini, et de différentes manière. Au lieu de considérer les photographes comme des artistes et des gens à part il semble nous dire que n’importe qui, avec un appareil en main, peut contribuer au langage visuel de la photographie.

Kanagawa, 1967. From A Hunter. © DaidoMoriyama/Daido Moriyama Photo Foundation
Kanagawa, 1967. Issu de la série “A Hunter” © DaidoMoriyama / Daido Moriyama Photo Foundation
Acteur masculin jouant une femme, Tokyo, 1966. Issu de la série "Japan, a Photo Theater" © Daido Morivama / Daido Moriyama Photo Foundation
Acteur masculin jouant une femme, Tokyo, 1966. Issu de la série “Japan, a Photo Theater” © Daido Morivama / Daido Moriyama Photo Foundation
Yokosuka, 1970. © Dado Moriyama / Dado Moriyama Photo Foundation.
Yokosuka, 1970. © Dado Moriyama / Dado Moriyama Photo Foundation.

« Je pense qu’il y a, dans ses photographies, quelque chose de très séduisant, très direct, très fort, très communicatif. Elles sont réalisées avec une intensité extraordinaire », explique Thyago Nogueira. « Je veux que les gens voient ces photos, qu’ils dialoguent avec elles, réalisent à quel point elles sont belles, et combien est beau l’univers qu’il a construit tout au long de sa vie. Mais je veux aussi que le spectateur aille au-delà et comprenne le questionnement très complexe de Moriyama, très bien mené, à propos de la relation entre la photographie et la réalité. Je veux vraiment que les gens comprennent la complexité de son œuvre, ses différents aspects, et ses idées à travers le geste très simple d’appuyer sur le déclencheur pour photographier le monde. »

Daido Moriyama: A Retrospective est publié par Pretel et disponible sur leur site Web. L’exposition est actuellement présentée  au C/O Berlin  à Berlin, jusqu’au 7 septembre. Elle le sera ensuite à Londres, du 6 octobre 2023 au 25 février 2024, à la Photographers Gallery.

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