Cette impressionnante collection de photographies, c’est un peu comme une histoire dans une histoire, et ainsi de suite. Celle de la Villa Nellcote, superbe bâtisse de la Belle Époque, qui a accueilli pléthore de personnalités, entre milliardaires, diplomates, et même un rescapé du Titanic.
Celle de ce groupe britannique mythique venu y injecter une dose massive de rock’n’roll. Celle d’un jeune photographe français, Dominique Tarlé, biberonné à la musique noire américaine, aux rockeurs comme Buddy Holly ou Eddie Cochran, aux Kinks, aux Who, à Jimi Hendrix et à Led Zeppelin, et qui va vivre « l’histoire d’une vie ».
C’est donc à un arrêt sur la French Riviera, à Villefranche-sur-Mer, que nous convie la Galerie de l’Instant à Paris, pour découvrir ces images d’archives via une cinquantaine d’inédits et un nouveau beau livre au format 33 tours.
Six mois hors du temps à la villa Nellcote
Dominique Tarlé tient à son statut de « photographe amateur » au style « contemplatif ». À savoir un passionné qui ne compte ni son temps ni tous les musiciens émergents qu’il a capturés pendant les trois ans passés dans le Swinging London, en quittant Paris après Mai-68. Son assiduité provoque sa chance, celle de croiser John Lennon, qui le présente aux Rolling Stones, avec lesquels il va sympathiser.
C’est au printemps 1971, après avoir été leur photographe officiel sur une tournée, que son travail d’« amateur » va l’air de rien, entrer dans l’histoire du rock. « J’arrivais au bout de mon énième visa touristique de trois mois », raconte Dominique Tarlé. « Les services de l’immigration britannique m’ont dit de partir et je déprimais. Mais lors de leur dernier concert, Bianca, future Madame Jagger, me confie que le groupe quitte l’Angleterre pour s’exiler dans le sud de la France afin d’échapper au fisc. »
Dominique Tarlé, alors âgé de 22 ans, a l’opportunité de les photographier le temps d’une après-midi dans un cadre hors normes, celui de la villa Nellcote, louée par le guitariste Keith Richards : « Je suis arrivé au petit matin et j’ai pris des photos toute la journée. Vers 17 heures, je remercie tout le monde et Keith me répond : “Où tu vas ? Ta chambre est prête !” ».
Cette journée qui ne devait durer qu’un bref moment s’est ainsi transformée en six mois de vie commune. « Comme je n’avais rien apporté, Keith m’a prêté ses vêtements et a investi dans les pellicules. », précise-t-il. Avant d’ajouter avec humour: « Il me donnait régulièrement une poignée de billets et me disait de prendre la limousine, car “un journaliste sans film, c’est comme une guitare sans corde”. »
Avec son Nikon 24-36 et des optiques 35 mm et 85 mm, Tarlé documente ainsi le quotidien de Keith Richards, Anita Pallenberg et de leur fils Marlon. « Les trois premiers mois, j’ai été l’invité d’une famille anglaise en vacances dans le sud de la France. Les Stones ont ensuite décidé de se remettre au travail, mais il n’y avait aucun studio d’enregistrement professionnel dans la région », rappelle Dominique Tarlé, « Il a fallu ramener de Londres leur camion-régie. »
Au programme : balades en mer et en voiture, repas de famille, mariage de Bianca et Mick Jagger à St Tropez, puis répétitions et enregistrement de leur album Exile on Main St. Dans les caves de la villa. Des mois de vie partagée, de prises de vues inouïes et la SNCF qui les alimente sans le savoir en électricité : « Le pianiste Ian Stewart avait repéré une ligne de train non loin et a récupéré un énorme câble qu’il a branché jusqu’à la villa. »
Dominique Tarlé, témoin privilégié
Cet été sous le soleil azuréen est gravé dans la mémoire du photographe. « De toute ma vie, je ne me suis jamais senti autant en sécurité qu’avec Keith Richards et à la villa Nellcote. Tout était si organisé et naturel », se remémore Dominique Tarlé. « La maison grouillait d’enfants. Keith avait invité ses amis qui venaient avec les leurs pour que son fils ne se retrouve jamais seul. »
La confiance que lui a donnée le guitariste reste encore aujourd’hui très forte, témoignant d’une amitié longue et sincère. Car ces photographies sont restées dans les tiroirs durant 30 ans : « À mon retour à Paris, je me suis fait rembarrer par les agences et les magazines », souligne Dominique Tarlé. « Le patron de Magnum m’a dit en les regardant : “Jeune homme, soyez gentil, arrêtez de faire les poubelles des confrères !” Chez Rock & Folk, le rédacteur en chef, Philippe Coquelin, m’a répondu : “Elles sont pas mal, mais demain les Stones seront ailleurs avec un autre photographe et les tiennes ne vaudront plus rien.” »
Pour le vingtenaire d’alors, c’est le « couperet ». Dominique Tarlé arrêtera de photographier des groupes de rock cinq ans plus tard, en 1976. Les images de l’aventure Nellcote vont cependant refaire surface en 2001 grâce à l’éditeur anglais Genesis via l’ouvrage de luxe Exile : « J’avais dressé la liste des personnes vivantes de cette époque. Huit jours avant de mettre sous presse, l’éditeur me contacte. Keith Richards a écrit la préface, avec en première ligne d’introduction : “Dominique est un membre de la famille et un membre du groupe.” »
Nourrie d’anecdotes du principal intéressé, l’exposition à la Galerie de l’Instant se fait ainsi à chaque cliché, plus surprenante, émouvante, drôle et intimiste. Car partager la vie d’un groupe de musique aussi célèbre est chose inimaginable aujourd’hui. Le nouveau livre La Villa consolide ces instants privilégiés et rares, couchant sur papier la légende sur plus de 150 photographies et ces inédits jamais tirés. Surtout, elle questionne toujours plus la notion de l’image décadente que les Stones ont su capitaliser, exerçant cette fascination sur leur époque.
Exposition « La Villa The Rolling Stones 1971 » par Dominique Tarlé, jusqu’au 16 mars 2022. Galerie de l’Instant, 46 rue de Poitou 75003 Paris. Livre La Villa, édition française ou anglaise limitée de 1500 copies numérotées et signées, 152p, format 33 tours.