Leurs images sont les plus partagées au monde et œuvrent fortement pour la promotion des films. Leurs noms restent cependant encore méconnus du grand public. Eux, ce sont les photographes de plateau dont le défi est de traduire et capturer l’essence et l’émotion d’un film, au-delà de la bande-annonce, tout en contribuant à documenter l’histoire du cinéma.
Depuis que le cinéma existe, la photographie de plateau a toujours été présente. Le statut du photographe a en revanche connu de nombreuses fluctuations des deux côtés de l’Atlantique, liées aux différentes évolutions des industries : du star-system à la Nouvelle Vague, des publications cinéphiles aux magazines de cinéma, de l’argentique au numérique, de l’avènement des séries aux plateformes de streaming.
Si le photographe est finalement le seul à ne pas participer à l’élaboration des films, son objectif va dans le même sens : promouvoir leurs sorties dans les salles obscures, avec des images fortes qui reflètent leurs histoires et leur esprit. D’une scène d’action au portrait d’acteurs en passant par l’affiche, elles font ainsi le tour du monde. Certaines parviennent à avoir un effet durable sur les spectateurs au fil du temps, quand la plupart deviennent de beaux documents de l’histoire du cinéma.
L’art de garder un œil artistique
Leur métier est fait d’observation, de patience, de discrétion. Qu’ils soient Anglais, Américains, Italiens, Australiens ou Français, ils transmettent leur amour de la photographie et du cinéma, nourri d’anecdotes qui viennent renforcer la puissance de leurs clichés à la facture personnelle. Une place de choix pour ces photographes dont les noms sont souvent totalement inconnus du grand public. David James est de ceux-là.
Passionné par l’image dès l’âge de neuf ans, ce photographe britannique légendaire, installé à Los Angeles, a parcouru plusieurs centaines de plateaux de cinéma, démarrant au sein de la MGM à l’aube des années 1960. Des histoires, il en a des milliers. Et du rire aux larmes. À commencer par l’une de ses premières collaborations, le réalisateur Otto Preminger sur le tournage de Bunny Lake is Missing (1965) : « Il m’a appris que la raison de ma présence ici était de vendre son film », raconte-t-il. « en me disant “Imagine, tu veux acheter une boîte de haricots dans un supermarché. Il n’y a que des conserves en argent avec pour seul mot indiqué : Haricots. Ajoutes-en une avec une illustration et les clients seront attirés.” »
De l’argentique au numérique, celui qui aurait préféré le surnom de « Monsieur le Plateau » plutôt que « Beechams », une ancienne appellation argotique de l’est de Londres pour les photographes, a ainsi conquis Hollywood. L’Homme qui venait d’ailleurs, Jesus Christ Superstar, La Liste de Schindler, Il faut sauver le soldat Ryan, Star Wars 7… Sa filmographie donne le vertige. Des genres divers pour une approche toujours discrète au service de l’équipe des films : « Je porte toujours des couleurs sombres sur le plateau ou, du moins, qui correspondent à l’environnement. », précise-t-il. « Avant les appareils numériques à obturateur silencieux, vous aviez besoin d’un plan que vous ne pouviez obtenir qu’en le demandant (parfois avec force). J’avais deux Rolleiflex, un appareil plat 4×5 et tout l’attirail correspondant ». Il mettait ensuite en place une session d’images pour couvrir la scène. Et toute l’équipe avait les yeux rivés sur lui et les acteurs qui rejouaient pour lui. « Certains réalisateurs dirigent les acteurs dans ces moments brefs, comme Steven Spielberg », ajoute-t-il. « Il est l’homme parfait pour une photographie de plateau, toujours intéressé et soucieux du look de son film. »
Une vision plus large
Sa rencontre fut d’ailleurs cruciale avec le metteur en scène de La Liste de Schindler : « Ce film était et sera toujours très spécial pour moi. », confie David James. « C’était le premier de nombreux projets avec Steven et tourner en noir et blanc était un rêve et la seule voie à suivre. » Il a signé ainsi des images bouleversantes du camp d’Auschwitz ou encore de Ralph Fiennes en officier nazi nous fixant dans sa voiture. Entre le grain, son regard, l’effet de mouvement et le flou, ce cliché ressemble à une image d’archives. Un plan tourné dans l’ancien ghetto : « Ce type de photo naît aussi grâce à l’apparence et au comportement de l’acteur, au costume, au réalisateur », souligne-t-il. « Un assemblage de puzzle magnifique. Vous devez être dans l’état d’esprit et vivre l’instant. »
Sa carrière est jalonnée de photos iconiques, comme celle de Tom Cruise au sommet du Burj Khalifa à Dubaï pour Mission Impossible: Protocole Fantôme. Celles d’Il faut sauver le Soldat Ryan inspirées du reportage de Robert Capa. Ou encore celle, rétro et surréaliste en noir et blanc, prise dans les studios de Pinewood à Londres, pour Star Wars: Le Réveil de la Force de JJ Abrams, qui a ravi les réseaux sociaux. Quand on lui demande comment photographier un film de l’ampleur de cette guerre des étoiles, il révèle qu’il a refusé le tout premier opus, Un dernier Espoir : « À l’époque, George Lucas me dit “Je vais te parler de ce film, de ce que tu vas voir et ne pas voir sur le plateau, ne dis rien jusqu’à ce que je termine.” Je me suis assis et je l’ai écouté. À la fin de sa description, je me suis dit que ce n’était pas pour moi, trop d’effets visuels difficilement maniables ».
David James a aidé à fonder la Society of Motion Picture Stills Photographers (SMPSP) dont il fut l’un des présidents. Une organisation qui assure leur reconnaissance et leur précieuse contribution à l’industrie à travers le monde entier. S’il a fait paraître de nombreux livres, il se consacre désormais au mentorat, transmettant sa passion du métier.
En quête du meilleur angle possible
Chiabella James, sa fille, a longtemps évité de suivre les pas de son père et d’être justement un produit du népotisme. « J’ai grandi en courant après lui sur les plateaux avec ses sacs de photos »,se remémore-t-elle. « La voie semblait évidente mais il a passé des années à m’en dissuader (…) Le déclic s’est fait lorsque j’ai traversé une série de tragédies qui ont changé mon monde à la fin de ma vingtaine. » Son père lui a ainsi proposé un poste au département Images fixes (stills) sur Star Wars 7. Chiabella James a depuis lors affirmé sa patte personnelle en travaillant sur plusieurs longs métrages d’envergure avec Tom Cruise, notamment deux Mission Impossible : Rogue Nation et Fallout dont une partie se déroule à Paris. Son parcours est ponctué de paysages, de portraits d’acteurs et de photos de scènes d’action entre combats, poursuites et explosions : « Je m’épanouis dans ces moments qui ne durent qu’une fraction de seconde. », affirme-t-elle. « Comprendre ce que sera le plan est la première étape et cela signifie poser des questions à l’équipe et savoir sur quels angles de caméra l’action se joue. » L’expérience et l’instinct prennent ensuite le relais. À savoir comment régler l’appareil et quand appuyer sur le bouton : « Rien ne vaut ce sentiment de bonheur quand vous découvrez que vous avez capturé les images que vous vouliez. », s’enthousiasme-t-elle.
Mais Chiabella James a surtout vu sa carrière boostée par Dune de Denis Villeneuve dont les photographies ont fait le tour de la planète. Elle reste toujours attentive aux discussions sur les tournages pour comprendre l’histoire et les évolutions, car ses images « ne seront utilisées qu’une fois la production terminée et prêtes à être vendues ». Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Javier Bardem, Josh Brolin, Ian McKellen, Helen Mirren, Gal Gadot…, de grands comédiens ont déjà posé devant son objectif : « J’ai eu la chance de travailler avec de nombreux acteurs qui comprennent l’importance de la photographie pour promouvoir le film. » Celle qui est influencée par Guy Bourdin, Jacques Henri Lartigue, Mario Sorrenti, mais aussi Clay Enos et bien sûr, son père, veut montrer que la photographie de plateau est un art en soi. « Nous sommes les photographes les plus publiés au monde et des milliers de belles images ne sont pas utilisées et ne verront jamais le jour. J’aimerais changer ce point de vue. »
Dans le feu de l’action
L’expérience de l’Australien Jasin Boland est encore différente. Il a démarré en tant que photographe de presse avant d’entreprendre une carrière dans le septième art dans laquelle il se sent mieux. Deux fonctions qui ont pour lui des similitudes : « Photographier l’actualité ou l’action sur des longs métrages reste quelque chose de spontané. », souligne-t-il. « Les deux viennent également avec leur lot de problèmes. Dans les deux cas, vous n’êtes pas toujours le bienvenu, vous devez savoir ce qu’il faut éviter. La préservation de soi est la clé des deux ! ». Sa règle d’or ? « Patience et timing ». Pour lui, « le succès vient de l’échec ». Résultat : une carrière impressionnante dont il « apprécie l’anonymat », surtout lorsqu’une personne découvre qu’il a travaillé sur l’un de ses films préférés. « Ça fait ma journée ! », s’anime Boland. On lui doit ainsi de magnifiques photographies de Mad Max: Fury Road, Jason Bourne, la trilogie Matrix, Mourir peut attendre, Captain Phillips, Thor: Ragnarok ou encore Everest. « J’ai toujours traité un plateau de tournage comme un environnement réel, et raconté l’histoire des réalisateurs, en donnant un point de vue opposé, du moins alternatif. »
À l’exemple du quatrième volet de Mad Max, tourné en Namibie avec des parties à Capetown et à Sydney. « J’ai dû surmonter certaines difficultés », se souvient Boland. « George Miller et le directeur photo John Searle m’ont offert un terrain de jeu merveilleux (…) Nous ne sommes bons que par l’accès qui nous est donné. Et ce que j’ai été autorisé à faire sur ce film est sans précédent. » L’aventure et l’action, défier les challenges, être au cœur de l’événement et capturer l’instant restent ainsi son leitmotiv. L’image de Charlize Theron criant dans le désert est d’ailleurs l’une des plus mémorables. « C’était le dernier plan de la journée. », raconte-t-il. « Dans ces instants-là, mes jours de photojournaliste entrent en jeu. ». Car ce qu’il aime, c’est capturer l’émotion brute lorsqu’un acteur donne tout pour le réalisateur, puis se relâche. « Vous ne pouvez pas espérer préparer ce genre d’image et obtenir la même émotion. C’est aussi spontané que l’actualité. »
Du désert (Fury Road) aux montagnes neigeuses (Everest) en passant par la haute mer sur un porte-conteneurs (Captain Phillips), Jasin Boland veille toujours à prendre soin de lui et à faire attention aux différentes cascades : « Je repère les lieux et vérifie avec l’équipe SFX si la scène comporte des explosions ou autres, puis je préviens la sécurité et le premier assistant-réalisateur que le spot est approuvé pour que personne ne s’étonne de ma présence. » Dans ses méthodes, il photographie avec les deux yeux ouverts pour rester alerte sur l’environnement et utilise des rigs à distance [pièces modulables capables de s’adapter à différents objectifs, ndlr] pour ne rien manquer. Cet ambassadeur Nikon voyage ainsi avec environ 100 kg de matériel et son compte YouTube regorge d’histoires et de bons conseils techniques.
L’importance de l’image d’un photographe
En France, le regard est autre. Si la photographie de plateau a souvent tenu une place à part entière, avec à son effigie quelques clichés mondialement célèbres de Georges Pierre ou de Raymond Cauchetier, ce n’est plus le cas aujourd’hui. L’avènement du numérique et des caméras ultra haute définition ont changé la donne. Les producteurs rognent sur les budgets et le photographe est le premier touché, ne participant plus à la durée totale des tournages. Une problématique qui se pose aussi dans cette notion d’histoire du cinéma, même si la Cinémathèque française continue d’œuvrer à la conservation du patrimoine cinématographique. Aujourd’hui, les productions vont vers un oubli délibéré de la mémoire photographique du Septième Art. À l’ère des réseaux sociaux, la place est davantage laissée aux photogrammes (fragments des 24 images par seconde) comme visuels des films.
Raconter une histoire par l’image reste pourtant l’un des credos de Stéphanie Branchu. Son inspiration naît des décors, des costumes et de sa quête permanente d’un regard et d’une émotion. Cette photographe de plateau a démarré avec La Fille sur le Pont de Patrice Leconte et a travaillé depuis sur de nombreux longs métrages, comme Taken avec Liam Neesonet Jackie avec Natalie Portman : « J’aime mon métier depuis mes débuts auprès de Catherine Cabrol » se rappelle-t-elle avec le sourire. « L’axe caméra qui primait jadis a été remplacé par les photogrammes, il faut donc trouver très vite le bon plan, le bon cadrage, et montrer que notre présence a une valeur complémentaire. » Sur vingt ans de carrière, elle a vu en effet les transformations de son métier : « La photographie de plateau n’est devenue que promotionnelle. Les producteurs ne pensent qu’à la sortie du film et à l’affiche. Le reste ne les intéresse pas. », affirme-t-elle tout de go, même si elle garde toujours sa liberté artistique. Car son expérience lui permet de pouvoir encore demander aux acteurs de rejouer des scènes, bien qu’elle préfère capter le moment.
L’autre changement émane des méthodes de travail. À l’époque de l’argentique, les photographes déposaient leurs pellicules au labo, puis sélectionnaient leurs images sur les planches-contacts et tout était terminé. « Aujourd’hui, le numérique demande un temps conséquent en post-production entre tri et retouches qui n’est pas rémunéré », s’exaspère Stéphanie Branchu. Il est donc loin le temps où le photographe de plateau pouvait réaliser un véritable reportage, capturant à la fois les prises, les acteurs et la vie du tournage. Mais elle garde bon espoir, étant membre de l’association des Photographes de Films Associés (PFA), qui veille à promouvoir la profession, leur sens artistique et leur place dans le processus de création et de mémoire. Via son expérience sur Le Bureau des Légendes (Canal+), Dérapages (Arte), Emily in Paris (Netflix) et The Serpent Queen (Starz), elle entrevoit une « possibilité », sans trop s’avancer : « Les séries sont plus longues, on peut travailler vingt jours, voire un mois et demi, tout est plus rapide ». Avec des plateformes comme Netflix, certaines demandes sont cependant spécifiques, comme ce plan dans Emily in Paris avec Lily Collins en train de faire un selfie.
Pour autant, travailler avec les Américains reste pour elle « des plus satisfaisants » car s’ils rémunèrent mieux, ils « reconnaissent le métier, aiment la photo et ont envie d’en avoir ». Et le résultat est à l’avenant pour tenter de concilier l’approche technique, esthétique et promotionnelle dans cette volonté de toujours raconter une histoire, celle d’un cinéma constamment en train de se faire.