Une coupole flanquée de quatre tours d’angle d’une hauteur de 45 mètres de haut, une tour centrale qui atteint les 55 mètres, 28 salles, une ossature en béton armé et une charpente de bois.
Vitrine de la présence française en Indochine, l’immense réplique du temple cambodgien d’Angkor Vat est l’œuvre maîtresse de l’Exposition coloniale internationale de 1931. Nichée au cœur du bois de Vincennes, cette exposition est le reflet de la puissance coloniale française.
Cet événement ne fait que renforcer un imaginaire colonial français qui s’appuie notamment sur le pouvoir des images. La photographie constitue en effet un formidable instrument pour dispenser un discours colonial.
Dans les vitrines de la galerie des photographes du Centre Pompidou, produits dérivés, diorama, et cartes postales constituent une véritable inflation visuelle.
Décoloniser le regard
L’exposition « Décadrage colonial. Anticolonialisme, surréalisme, photographie moderne » dévoile la production des photographes modernes actifs dans les années 1930. Damarice Amao, attachée de conservation au cabinet de la photographie du Musée national d’art moderne, et commissaire de l’exposition, souhaitait mieux contextualiser ces images. Elle en propose une nouvelle lecture, trop souvent réduite à la fascination pour l’ailleurs et à l’exotisme.
Naviguant entre productions artistiques, photographiques et écrits d’intellectuels, on y questionne le dialogue avec l’ethnographie, le rôle de la presse illustrée et l’instrumentalisation des images dans un discours national.
Érotisme et exotisme
Dans un contexte d’exaltation du nu et d’éloge du corps sportif, la prétendue vitalité des corps noirs engendre la fascination. L’entre deux guerres est caractérisée par une vogue « négrophile » qui transparaît par la photographie.
Cette essentialisation des corps racisés s’accompagne d’une iconographie qui véhicule le mythe de la disponibilité sexuelle de la femme de l’ailleurs. Corps modèles, corps photographiés, corps dénudés : modèles anonymes posent lascivement devant l’objectif.
Stéréotype déjà présent dans l’iconographie ancienne, notamment avec les travaux de Gauguin, La Mauresque, La Vahiné ou encore de L’Africaine, servent le fantasme de la femme exotique. Entre colonialisme et érotisme, une telle idée passe sous silence la réalité des violences sexuelles de l’époque.
Si ces représentations figées cristallisent un imaginaire colonial empreint de regard masculin, certains photographes s’en détachent progressivement. C’est le cas d’Henri Cartier Bresson, qui, lors de son séjour en Afrique, s’extirpe de tout exotisme artificiel. Refusant la fétichisation des corps noirs, ses tirages noirs et blancs témoignent d’un regard photographique plus humaniste sur la vie africaine contemporaine.
Propagande, surréalisme et visions dissidentes
Les années 1920 voient fleurir les reportages des photographes de la scène moderne. Pierre Boucher expérimente la photographie infrarouge et le photomontage, Laure Albin-Guillot les effets de flou et la subtilité des jeux de lumière, Pierre Ichac les vues aériennes. « La photographie est à la fois un outil de recherche et un outil pour médiatiser l’ethnographie et l’imaginaire du voyage », souligne Damarice Amoa.
Elle est également un outil politique. Plus que qu’offrir d’autres images du lointain, les clichés de Pierre Ichac servent et accompagnent la conquête aérienne, matérialisant la délimitation des territoires africains. Presse, brochures, affiches, photos documentaires issues de reportages ou de commandes, la propagande coloniale est avant tout visuelle.
Malgré l’omniprésence des images glorifiant l’exposition, d’autres voix s’élèvent contre une telle propagande. Le groupe des surréalistes se joint notamment à la gauche radicale et aux premiers mouvements militants anticoloniaux. Ensemble, ils véhiculent une vision décalée, ironique et transgressive de l’exposition.
C’est ce que le photographe américain Man Ray propose avec son anti reportage sur l’exposition coloniale. S’il ne propose pas de critique frontale, ses images sont à interpréter à l’aune du contexte de l’époque. On y voit ainsi la photo d’une lampe électrique vainement camouflée dans une sorte d’agave, ou encore celle d’un sèche cheveux électrique dans un sexe féminin.
À travers ces deux objets, il critique l’idéologie impérialiste fondée sur le progrès technique et matériel. Ironisant sur le caractère factice de cet idéal progressiste et moderne, il dénonce aussi les violences sexuelles et la violence sous-jacente de l’entreprise coloniale.
Dans l’exposition « Décadrage Colonial », images et voix communiquent, se contredisent et nous interrogent. Les textes de la presse décolonisée font rupture avec un univers iconographique stéréotypé. Les voix différentes dialoguent entre elles.
Entre représentations idéalisées, critiques et propagande se matérialisent des questions trop souvent passées sous silence, notamment dans le monde de l’art.
Décadrage colonial, Surréalisme, anticolonialisme et photographie moderne, par Damarice Amao. Textuel. En coédition avec le MNAM / Centre Pompidou, avec le soutien du ministère de la Culture et de la société des Amis du Centre Pompidou. 45 €.