« Nous nous sommes rencontrés devant un barrage de police lors d’un procès du NAP, un groupe armé napolitain. » Voilà comment Lina Pallotta se souvient du moment où elle a croisé pour la première fois Porpora, des années avant qu’elle ne devienne photographe, et avant que Porpora ne devienne Porpora.
« À l’époque, elle s’appelait encore Domenico, mais elle était déjà différente. Il y avait quelque chose d’autre inscrit sur son corps, dans son visage de chérubin », raconte la photographe. Dans l’Italie des années 1970, il n’y avait pas de définition du terme « trans », ni de mouvement associé, alors que le monde LGB commençait à peine à émerger.
« Je voulais recueillir des moments d’intensité »
Liées par leur militantisme politique commun, les deux femmes ont noué une forte amitié et ont gardé contact tout au long de leur vie à Naples, Rome, Bologne et New York, où Lina Pallotta s’est installée pour poursuivre une carrière de photographe. Dans ce livre, Lina Pallotta se concentre sur les atmosphères des villes où les deux amies ont vécu, sur instants de vie et de tendresse.
Au fil des années, l’appareil photo est devenu partie intégrante de cette amitié. Devant l’objectif, Porpora demeure elle-même, jamais un « personnage ». Les photos n’appuient pas sur sa sexualité, son corps, son maquillage. Elles ne cherchent pas de moments dramatiques, réfléchis, posés. « Je voulais recueillir des moments d’intensité », explique la photographe. « Je ne prenais des photos que lorsque je sentais qu’un moment nous appartenait, et je refusais de chercher des événements spécifiques. J’ai abordé le sujet dès le début avec un sentiment de liberté totale. »
Porpora se reconnaît dans ses regards pensifs et les sourires en coin. Ils rappellent la personne timide et réservée qu’elle était plus jeune. Les photographies de Lina ont toujours été avec elle. « Le leitmotiv de notre relation était et reste l’incertitude, le sentiment d’être précaire, de ne pas être à sa place dans un monde qui, souvent, n’est pas le nôtre », écrit Porpora.
« Nous n’étions pas censées survivre. »
L’auteur-compositrice Kai Tempest, qui a écrit un poème pour le livre, lui fait écho :
« Sur une échelle allant de l’insupportable à la fierté, je suis davantage fière que je ne l’étais.
Mais moins fière que je ne le voudrais de la belle histoire que nous réalisons »
S’inscrivant dans la lutte plus large pour les droits des personnes LGBTQI+, l’histoire personnelle de Porpora révèle combien il a dû être difficile pour elle et d’autres personnes de sa génération de concilier un monde intérieur rempli de questions et de nuances et la nécessité de présenter des réponses claires, de faire avancer un combat qui était, et est malheureusement toujours politique.
À un moment où il n’y avait pas encore de termes pour se définir, où admettre la contradiction, la confusion, était déjà un acte de désobéissance aux normes de la société, où l’expérimentation de traitements hormonaux était encore une voie risquée et inexplorée, Porpora a été capable de reconnaître son état de transition, en déclarant : « Je me sens bien comme ça. C’est seulement vous que ça gène ».
L’histoire de Porpora nous ramène aux réflexions actuelles, alors que les partis conservateurs gagnent du terrain dans plusieurs pays européens et occidentaux. « Porpora s’inquiète de la montée de la violence et des comportements agressifs », déclare Lina Pallotta. « L’année dernière, elle a été menacée en pleine journée avec un couteau par un groupe de jeunes, alors qu’elle quittait une plage italienne bondée. »
Dans le texte qu’elle écrit à la fin du livre, Porpora se souvient également du dernier vers d’un poème de 1978 de la poétesse lesbienne afro-américaine Audre Lorde : « Nous n’étions pas censées survivre. » Près de 50 ans plus tard, ce livre semble ajouter : « Et pourtant, nous en sommes là. »
Le livre Porpora est publié par Nero Editions et disponible au prix de 32 euros.