La quasi-totalité des images de l’exposition de Gentilly – où se trouve la Maison de la photographie Robert Doisneau – et celles du livre sont inédites car cette photographe d’origine hongroise née Erzsi Landau en 1896 n’a été redécouverte qu’au milieu des années 2010, fortuitement, par Laurence Le Guen à l’occasion de ses recherches pour la rédaction d’une thèse.
Avec l’universitaire David Martens, elle signe le texte principal de l’ouvrage : « J’ai découvert que ses archives étaient chez Kathleen Grosset, la fille de Raymond Grosset, cofondateur de la nouvelle agence Rapho au sortir de la Seconde Guerre mondiale. » Cette agence photo est notamment célèbre pour avoir diffusé les images de nombreux photographes humanistes, dont Robert Doisneau, Willy Ronis et Sabine Weiss.
« N’ayant pas d’héritier, Ergy Landau avait confié son fonds avant son décès, en 1967, à Raymond Grosset », poursuit Laurence Le Guen. Avec Kathleen Grosset, elles ont créé l’Association des Amis d’Ergy Landau pour rendre visible le travail de cette photographe inconnue. Et il devrait prochainement rejoindre une institution où il sera étudié et valorisé. Conservé dans une valise pendant plus de 50 ans, il renferme des tirages, des planches-contacts, des lettres et des carnets de travail mais aussi des négatifs qui restent à développer. « À ce jour, on ne connaît donc qu’une partie de son œuvre et de sa vie. Mais si des zones d’ombres demeurent, on sait qu’elle a combattu pour la défense des photographes dans les années 1930 », note Kathleen Grosset qui a été directrice de l’agence Rapho de 1975 à 2010.
L’exposition et le livre commencent par des portraits de familles et des travaux de jeunesse datant de sa vie en Hongrie. Quand Ergy Landau arrive à Paris en 1923 – la même année que François Kollar, un an avant Brassaï et deux ans avant André Kertész, eux aussi hongrois –, elle est donc déjà expérimentée, ayant été formée à Vienne et à Berlin. De retour à Budapest, elle avait ouvert son propre studio photo. C’est donc tout logiquement qu’elle transforme une partie de son appartement en studio quand elle arrive à Paris, dans le 16e arrondissement où elle s’installe et où elle restera jusqu’à sa mort. Elle signe « Studio Landau » ou « Ergy Landau », ayant changé son prénom à son arrivée en France.
« La connaissance que nous avons aujourd’hui du travail de Ergy Landau fait apparaître une photographe représentative de l’activité de la profession dans les années 1920 à 1950, mêlant portraits de studio, expérimentations formelles et reportages », explique Michaël Houlette, directeur de la Maison Robert Doisneau. Comme ses contemporains, parmi lesquels on peut citer d’autres femmes, Germaine Krull et Laure-Albin Guillot, elle a fait de nombreux portraits, notamment de personnalités du monde du spectacle, du cinéma, de la littérature et de la politique, publiées dans la presse illustrée en pleine expansion dans ces années-là. C’est ainsi qu’elle gagnait sa vie.
Signe particulier ? Ergy Landau s’était fait une spécialité des portraits d’enfants diffusés dans des magazines ou des livres. Autre axe classique pour l’époque, le nu. Mais ce qui surprend, c’est que sa pratique était diverse. Du nu sensuel avec des jeux de lumière élaborés, ou délicat comme celui montrant Assia, célèbre modèle des photographes et des peintres des années 1930, à des nus réalisés dans un cadre quotidien, à l’extérieur en pleine nature. Ceux-ci rendent compte de l’évolution de la société, du culte et de la libération des corps qui va de pair avec le naturisme, pratique en vogue à l’époque, comme le prouve un exemplaire de la revue Air et nature qui est dédié à ce mode de vie.
Autre corde à son arc : le reportage, en France, mais aussi en Chine et en Mongolie en 1954, ce qui est plus étonnant pour l’époque. Enfin, Ergy Landau a aussi travaillé pour la publicité et s’est essayé à des expérimentations esthétiques caractéristiques de la Nouvelle Vision française, courant photographique des années 1920 à 1940. Reconnu par ses contemporains, son travail fut salué par des participations à des expositions collectives qui étaient rares à l’époque. Cette première présentation et le livre lèvent le voile sur une figure, en attendant l’étude complète de son fonds.
Expositions :
- Ergy Landau 1896 – 1967, Maison de la Photographie Robert Doisneau (Gentilly), du 23 septembre 2022 au 8 janvier 2023
- Paris dans l’objectif d’Ergy Landau, Mairie du XVIe arrondissement, Paris du 8 décembre 2022 au 8 janvier 2023
Livre :
- Ergy Landau, une vie de photographe, textes de Kathleen Grosset, Laurence Le Guen et David Martens, 176 pages, éditions Le Bec en L’air, 36 €