Denis Brihat, éternel étudiant de la nature

La galerie Camera Obscura, à Paris, propose une exposition en hommage à Denis Brihat, décédé le 3 décembre 2024. Pour Didier Brousse, son directeur, la rencontre avec le photographe fut le début d’une longue et belle relation.

Denis Brihat, né à Paris en septembre 1928, s’était installé en 1958 dans le Lubéron, à Bonnieux, où il est décédé le 3 décembre 2024. Il y avait construit sa maison, fondé une famille, créé un jardin où il puisait inspiration et modèles pour ses photographies.

Ma première rencontre avec lui date de mes études en photographie à l’Université de Provence, à Marseille, en 1978. Après Willy Ronis et Lucien Clergue, il était venu nous parler de sa pratique et de sa philosophie de l’image. A cette époque, pour le jeune passionné que j’étais, Denis était déjà une légende. Quelques années plus tôt, alors que je pensais déjà me consacrer à la photographie et cherchais un chemin vers les rares écoles existantes, j’avais rêvé d’intégrer son atelier, à Bonnieux, où il recevait durant neuf mois un petit groupe d’étudiants pour une formation qui ressemblait à une expérience de vie. 

Kaki rouge, 2005 © Denis Brihat
Kaki rouge, 2005 © Denis Brihat
Coquelicot avec escargot, 1981 © Denis Brihat
Coquelicot avec escargot, 1981 © Denis Brihat

Mais c’est finalement à l’Université de Provence que je suis entré pour des études en photographie, dans ce qui était d’une certaine façon un prolongement de « l’école » Brihat, puisque mon enseignant principal était Yan Le Goff, ancien assistant et ami de Denis.

Suite à cette première rencontre, j’ai formé le projet de réaliser un documentaire photo sur Denis. Il a généreusement accepté de me recevoir, m’a ouvert son laboratoire, m’a expliqué toutes les étapes de son travail, depuis la prise de vues à la chambre, le tirage, jusqu’au montage. Sa gentillesse est allée jusqu’à mimer tout le processus afin que je puisse le photographier dans ses divers travaux : sous le voile de sa chambre dans la nature, puis au laboratoire sous l’agrandisseur, travaillant un tirage dans les nombreuses étapes nécessaires à son processus de virage, et enfin devant la presse à chaud pour achever le montage de l’œuvre.

C’est cette incroyable unité de l’acte de création photographique, lui-même en osmose totale avec son mode de vie, qui m’a totalement impressionné et a conforté mon goût et mon engagement pour la photographie. Lorsque j’ai ouvert la galerie Camera Obscura, bien des années plus tard, il était naturel que j’entame une collaboration avec lui, et c’était un bonheur de le présenter au fil du temps, à la galerie et à Paris Photo.

Folle d’avoine, 1988 © Denis Brihat
Folle d’avoine, 1988 © Denis Brihat
Bouquet de coquelicots, 1977 © Denis Brihat
Bouquet de coquelicots, 1977 © Denis Brihat
Graine de folle avoine, 1981 © Denis Brihat
Graine de folle avoine, 1981 © Denis Brihat
Coquelicot, 1976 © Denis Brihat
Coquelicot, 1976 © Denis Brihat

L’exposition hommage qui s’ouvre à la galerie rassemble une trentaine de tirages exceptionnels, pour beaucoup des épreuves d’artiste, dont quelques témoignages de son travail dans les années 1960, notamment des tirages uniques et ses premières expérimentations des virages en 1968.

Denis Brihat a vécu sa passion pour la photographie comme un peintre, souhaitant créer des œuvres pour le mur, pour la jouissance du regard. En 1965, il expose au Musée des Arts Décoratifs ses « tableaux photographiques », tirages uniques : un seul exemplaire réalisé d’après le négatif, cadrage et format choisis spécifiquement pour traduire au mieux chaque image.

Ensuite, dès 1968, vient son travail sur la couleur, grâce à des recherches inédites sur les virages (dont le célèbre virage à l’or). A ce moment, Brihat abandonne le concept, trop strict à son goût (et au fond peu photographique), du tirage unique. Mais, pour chaque négatif choisi, l’édition est tirée en une fois, en une journée, pour garder la cohérence du traitement, si complexe, qu’il réalise au laboratoire. Il suivra ensuite avec une totale constance ce processus, jusqu’à ses derniers tirages réalisés en 2012.

Coupe de kiwi, 1990 © Denis Brihat
Coupe de kiwi, 1990 © Denis Brihat
Coupe de kiwi, 1990 © Denis Brihat
Coupe de kiwi, 1990 © Denis Brihat

Denis Brihat résumait déjà, dans un texte écrit dans les années soixante, l’essence de son travail : « Mon sujet : la nature. J’y vis au cœur, et dans une grande solitude. Elle m’apporte, avec la musique, un fondement à ma vie, une structure. J’écoute énormément de musique et particulièrement Bach. Lorsque je regarde avec le recul des années, je constate que, même si j’ai traité de nombreux sujets, il y a un lien évident, récurent : c’est une étude systématique des formes, des structures, de l’architecture de la nature. »

L’exposition « Hommage à Denis Brihat 1928 – 2024 » est à voir à la galerie Camera Obscura, à Paris, jusqu’au 31 mai 2025.

Fleur de carotte sauvage, 1972 © Denis Brihat
Fleur de carotte sauvage, 1972 © Denis Brihat

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