Denis Piel: « Nous naissons nus et nous mourons nus »

Ce grand photographe d’origine française retrace plus de 60 ans de carrière à la galerie Staley Wise à New York, exposant un panorama riche et varié qui célèbre son héritage, les femmes et les fleurs, entre mode et cinéma, nature et humanité.

Denis Piel fait partie de ces photographes qui ont très vite attiré l’attention d’Alexander Liberman (1912-1999), l’un des grands directeurs artistiques du magazine Vogue américain. À la fin des années 1970, ce jeune trentenaire d’alors, né en France et qui a grandi en Australie, se voit offrir un contrat d’exclusivité par la maison Condé Nast. Un accord réservé à quelques privilégiés, comme Irving Penn et Richard Avedon. L’exposition à la Staley Wise Gallery à New York propose ainsi de redécouvrir le travail emblématique de ce grand nom de la photographie qui a marqué de son empreinte par son style cinématographique, sa vision des femmes indépendantes et sensuelles, et son approche naturaliste et profondément humaine. 

Rosemary (Central Park), Donna Karan, NYC, 1986 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Rosemary (Central Park), Donna Karan, NYC, 1986 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Rosemary (Limo 1), Donna Karan, NYC, 1986 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Rosemary (Limo 1), Donna Karan, NYC, 1986 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

Vision panoramique

C’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que Denis Piel, né de parents résistants, quitte sa France natale pour l’Australie. Sa passion pour la photographie émerge dès ses 12 ans. « Ma belle-mère m’a offert un Brownie, un petit appareil photo bon marché et très ancien », explique t-il, avec un accent prononcé et chantant. « Elle m’avait conseillé de regarder ce que je photographiais, à droite, à gauche, en haut, en bas, et pas uniquement devant moi. Ce fut véritablement mes débuts dans la photographie et cela m’a passionné aussitôt sans savoir que cela deviendrait ma carrière. » 

La carrière de Piel débute dans les années 1960 à Brisbane, où il ouvre son studio photo en indépendant, et à Melbourne. Il part ensuite pour l’Europe, passe par Londres et Milan, puis s’envole pour New York, entamant sa rapide ascension chez Vogue. « Alexander Liberman a changé ma vie. C’est grâce à lui si j’en suis arrivé là aujourd’hui. J’avais l’intention de me rendre à New York à l’époque, car je travaillais pour le New York Times. C’est en faisant des séances photo beauté et mode pour le journal avec la top-modèle Gia Carangi qu’Alex m’a remarqué et m’a invité à rejoindre le magazine. À ce moment-là, j’étais engagé sur un autre travail. J’ai donc dit non. Et j’ai eu raison, car ce qu’il m’a proposé ensuite était un projet bien plus important. Notre collaboration a été extraordinaire ensuite. »

Imagination, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Imagination, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Cooling Off (2), Mustique, West Indies, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Cooling Off (2), Mustique, West Indies, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
J. Asleep, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
J. Asleep, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

Pour photographier ses modèles, qu’il aime souvent allongés ou perdus dans leurs pensées, Denis Piel puise dans le septième art, notamment chez François Truffaut et Stanley Kubrick. « J’aime leur liberté et leur façon unique de regarder », explique t-il tout en souriant. « La diversité du travail de Robert Frank, cinéaste extraordinaire, m’a aussi beaucoup inspiré, comme celui d’Irving Penn. Je dis toujours que si je pouvais combiner Irving Penn avec Robert Frank, ce serait mon idéal. » 

Ses décors audacieux et sa vision de la femme à la fois active et dynamique, belle et libre, forte et vulnérable, n’auront de cesse de séduire la profession. Il joue avec les imperfections pour garder un peu d’authenticité, voire humanité, dans les visages. Beauté et lumière ne quittent jamais son objectif. « Je travaille vraiment comme un cinéaste », insiste-t-il. « Quand je commence une séance, j’étudie la lumière du lieu et je regarde les vêtements. À partir de là, je construis une histoire avec des idées précises de mise en scène. J’introduis ensuite les sujets et je les laisse vivre avant de capturer les instants. Je n’attends pas qu’ils soient des modèles, mais qu’ils évoluent avec sincérité. » Denis Piel a d’ailleurs souvent travaillé avec les mêmes mannequins, dont Rosemary McGrotha, médusante dans ses photographies. « Elle pouvait donner des points de vue de beauté et d’intelligence. » 

L’essence de la beauté

Rest, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Rest, Mustique, West Indies, 1982 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (15), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (15), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (8), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (8), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (5), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (5), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (14), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Portrait of a Woman (14), NYC, VOGUE Italia, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

Après les attentats du 11 septembre 2001, Denis Piel revient dans son pays d’origine et acquiert le château de Padiès, de style Renaissance, à Lempaut, dans le sud de la France. À cette époque, il voyage à travers le monde, photographie des paysages humains et continue de développer son style innovant dans l’univers de la mode. Ses modèles se laissent guider dans ses narrations visuelles. Si les femmes y sont toujours sensuelles, ses clichés restent simples et épurés, naturels. Quand on lui demande ce qu’il aime dans la nudité, il répond simplement, switchant du français à l’anglais : « Le rapport à la nature. We’re born naked and we die naked, you know. » 

Depuis quelque temps, il s’est mis à photographier la nature. La galerie Staley Wise présente dès lors un tout autre univers à travers sa série Padièscapes, des images colorées et abstraites qui célèbrent les fleurs de son jardin. Si celles de « Down to Earth » s’inspirent de sa ferme biologique durable, toutes reflètent son amour profond pour le monde végétal. « Je voulais me lancer un nouveau défi, jouer avec les couleurs des fleurs et les pousser jusqu’à l’abstraction pour provoquer une émotion, montrer comment elles fleurissent, produisent, se fanent. Symboliquement, une fleur a la même existence qu’un être humain.Down to Earth” confronte les sensualités de l’humain et de la nature. Celles du corps et de la terre. »

Wisteria Sinensis, Château de Padiès, France, 2023 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Wisteria Sinensis, Château de Padiès, France, 2023 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Dahlia Redfield, Château de Padiès, France, 2023 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Dahlia Redfield, Château de Padiès, France, 2023 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Un homme et une femme, Cap Ferrat, France, US VOGUE, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Un homme et une femme, Cap Ferrat, France, US VOGUE, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Suzanne Accosta (Reading), Key West, Florida, 1979 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Suzanne Accosta (Reading), Key West, Florida, 1979 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

Si tout au long de sa carrière, Denis Piel a contribué à redéfinir les contours de l’image de mode, il a également réalisé des films publicitaires pour la styliste Donna Karan, fait le portrait de Charlotte Rampling, Jamie Lee Curtis, Sissy Spacek, Man Ray ou encore Jasper Johns, Merce Cunningham et Brian de Palma. Il a aussi réalisé un documentaire, Love is Blind, qui dépeint la relation d’un couple aveugle, et publié plusieurs livres photo, dont deux particulièrement beaux, Moments (2012) et Rosemary (2025). Ce dernier ouvrage est notamment visible depuis le mois de mars dans un flipbook cliquable dans une galerie virtuelle, créée lors de la pandémie et qui invite le public à découvrir en avant-première ses expositions. 

Aujourd’hui, Denis Piel, 81 ans, se concentre sur ce qui lui paraît le plus important : l’environnement et la paix avec soi-même. Ses futurs projets ? Il poursuit sa série Padièscapes, en examinant plus en profondeur l’aménagement paysager autour de son château, en créant des « photos évolutives » dans un seul tableau. Mais sa grande ambition est d’organiser une rétrospective, dans un lieu qui mettrait en lumière toute la diversité de son œuvre. Elle qui s’étale sur plus de 60 ans.

Jasper Johns, NYC, US VOGUE, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Jasper Johns, NYC, US VOGUE, 1987 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Charlotte Rampling, NYC, US VOGUE, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Charlotte Rampling, NYC, US VOGUE, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Man Ray, Paris, 1978 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Man Ray, Paris, 1978 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

« Denis Piel – Exposed » est à voir jusqu’au 26 avril 2025 à la galerie Staley Wise à New York. Plus d’informations sur Denis Piel sur son site internet.

Lien vers la galerie virtuelle de Denis Piel: Exhibitatour – Denis Piel 

Heat, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Heat, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Man & Stone, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Man & Stone, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Desert Fight, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Desert Fight, New Mexico, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York
Cooling Off (1), Mustique, West Indies, 1984 © Denis Piel / Courtesy of Staley-Wise Gallery, New York

Vous avez perdu la vue.
Ne ratez rien du meilleur des arts visuels. Abonnez vous pour 7$ par mois ou 84$ 70$ par an.