Dans une première partie délimitée par un fond orange, on pénètre dans les coulisses du labeur du photographe : une carte de la région répertoriant les villages, des images simplement punaisées au mur racontant la préparation de son projet parfois annotées manuellement : « prendre des notes », « faire des Polaroid », « acheter des cartes postales ». S’ajoutent des photos du matériel utilisé : chronomètre, loupe, etc., une table lumineuse avec des « plans films », des livres en vitrine aux titres évocateurs – Rural et Repérages – et, enfin, la projection du film Les paysans signé Claudine Nougaret montrant le photographe à la tâche, en séance de prises de vue à la chambre.
Cette entrée en matière par « l’arrière-boutique », comme la qualifie Gilles Mora, directeur du Pavillon Populaire et commissaire de l’exposition, est associée à quelques tirages de séries anciennes portant eux aussi sur le territoire national. Car Raymond Depardon, il l’a photographié maintes fois et avec assiduité la France ! À commencer par la ferme du Garet, où il a grandi dans une famille d’agriculteurs, et qu’il a quittée à l’âge de 16 ans pour Paris, afin de réaliser son rêve : devenir photographe. Ces images en couleur réalisées à la chambre datent des années 1980. Elles ont été faites dans le cadre de la fameuse Datar, cette grande commande nationale dont le but était de témoigner de la mutation du territoire français. 29 photographes y ont participé de 1983 à 1989, principalement des Français – dont Robert Doisneau – mais aussi des étrangers, comme l’Américain Lewis Baltz.
Après avoir cofondé l’agence Gamma en 1966, Raymond Depardon est devenu membre de Magnum Photos en 1979. Les années 1980 correspondent à une époque charnière de son parcours, celles où il prend ses distances avec le reportage pour une photographie moins factuelle, et non plus dédiée au temps court et au mouvement inhérent à la photo d’actualité. En adoptant la chambre, son esthétique change. Il passe au temps long du paysage, ou « faible », comme il l’écrit. Un contrepied de l’instant décisif, des images où il ne se passe rien.
Ce préambule de l’exposition comprend aussi des contacts noir et blanc de photographies personnelles qu’il qualifie « de famille » où l’on peut voir sa femme et ses enfants dans les années 1990. Plutôt surprenant. Cette incursion de l’intime dit aussi combien son ressenti devient alors déterminant dans son travail. Et enfin, un échantillon de sa grande saga effectuée dans les années 2000, « La France », qui a fait l’objet d’une exposition à la BnF en 2010. Pendant plusieurs années, Depardon a parcouru le pays à bord d’un camion où il campait, empruntant les chemins de traverse pour photographier « la France des sous-préfectures », comme il le dit, ces petites villes en bordure des plus grandes.
Dans la deuxième salle rehaussée de murs peints en jaune, place à « Communes », « et au Depardon paysagiste et à l’antithèse de la street photography », précise Gilles Mora. Le sujet, c’est la ruralité dans ce qu’elle a d’éternel, ou du moins d’atemporel. Des grands formats verticaux en noir et blanc se dressent sur les quatre murs de la salle, nous encerclant. Effet garanti. Ce sont des vues frontales de petites localités aux noms chantant du sud-est de la France. Elles font partie d’un ensemble de 280 villages où avait été autorisé un plan d’extraction du gaz de schiste. Après un vaste mouvement de protestation, le projet a été arrêté en 2015. « Intrigué, j’ai voulu les photographier avec ma chambre », explique Raymond, précisant avec humour qu’il n’est pas arrivé là par hasard. « Ma femme est originaire de la région. C’est elle qui me l’a fait connaître. Moi, je suis une pièce rapportée ».
Dans les photos, tout n’est que pierres et façades : boulangerie, école, mairie, épicerie et autres fontaines… Ces petites rues, Raymond Depardon les a arpentées en août et octobre 2020, supportant le poids et l’encombrement de la chambre sur son dos malgré ses 79 ans. « Je ne faisais pas plus de cinq images par jour que je doublais ; tout allait assez vite, je faisais un peu de repérage mais pas trop car je ne peux plus galoper ! Et je travaille sans assistant ». L’absence d’humains est-elle un signe de la désertification des campagnes dont on parle tant dans les médias ? Raymond Depardon n’est pas de cet avis : « Ce ne sont pas des endroits abandonnés, faut pas croire, les choses continuent à bouger ».
Raymond Depardon « Communes », du 16 février au 24 avril 2022, Pavillon Populaire.
Catalogue, version bilingue français/anglais, 128 pages, éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, 45 €.