Amoureuse de l’Afghanistan depuis 12 ans, la photographe française Oriane Zerah propose un essai photographique sur la population afghane, accompagné d’un texte signé par la chercheuse Alice Plane, sous le prisme de la fleur et de la poésie.
L’amour de la terre
Depuis la fin des années 1970, le monde entier discute de l’Afghanistan, de ses guerres, de ses pertes humaines, de ses armes. Finalement, en plus de 40 ans, l’imaginaire collectif se rejoint pour définir la « terre des cavaliers » par la violence qu’elle subit. Celle d’une lutte perpétuelle sur son territoire. Pourtant au delà des conflits, l’Afghanistan révèle un pays plus complexe. Un pays de hautes montagnes, de grandes plaines agricoles et d’une population poétique, amoureuse de sa littérature romanesque et de ses fleurs.
A la question de la représentation du peuple afghan et des visages qui composent ce pays, Oriane Zerah se charge de répondre en saisissant le portraits des habitants, pendant deux années, rendant au peuple une partie de son identité.
Loin du cliché d’une population aux visages indistincts et à la pensée homogène, la photographe française immortalise des hommes, des femmes, des anciens, des jeunes, des Talibans, des policiers, des airs sérieux, des fous rires… à une seule condition : porter des fleurs pour la photo. « C’est comme un passage d’énergies : quand on met une fleur dans la main de quelqu’un, ce laps de temps très court, est assez doux pour permettre à la personne de lâcher prise », explique Oriane Zérah.
La fleur devient alors son arme privilégiée, lui permettant de briser la glace tout en douceur, à l’aide d’un symbole de beauté universel.
Des pétales, des épines et des armes
Le soufisme, cette dimension intérieure et contemplative de l’Islam, propose une réflexion sur la sagesse éternelle et universelle. Pour maintenir une harmonie entre les aspects ésotériques et exotériques du message islamique, ce mouvement spirituel donne un sens aux dogmes et rites musulmans. Dans la littérature persane, notamment dans la littérature soufie, la fleur occupe ainsi une place centrale.
La symbolique la plus célèbre de la rose est celle évoquée par le poète perse du XIIIème siècle, Jalal Al-Dîn Muhammad Rumi, célèbre en Occident sous le nom de Rumi. Si les roses, le jasmin et le lys parsèment ses écrits spirituels pour évoquer l’épicentre des rêves et des aspirations de l’Homme, la fleur reste très souvent indissociable de ses épines. Tels deux emblèmes contradictoires mais complémentaires, en équilibre. Une allégorie du rêve et de la réalité, de l’espoir et de la déception. Ou encore de la rose afghane et des Kalachnikov.
« La fleur relie la terre au ciel. Elle est le symbole de l’osmose cosmique. Nous sommes tellement entourés de traumatismes en Afghanistan que les fleurs sont un réconfort et une bonne énergie pour appréhender l’avenir toujours incertain», explique Wais Akram, afghan en fleurs photographié par Oriane Zerah.
Des Hommes et des fleurs
Ce projet dévoile un nouveau prisme de la population afghane. A travers ses photos, Oriane Zerah permet l’humanisation d’un peuple oublié, en illustrant sa beauté même dans un paysage de violences. La photographe en était la première étonnée : photographier des talibans avec des fleurs, quelle idée ! Pourtant ce sont toutes ces nuances de gris individuelles qui permettent aux Afghans de former un tout, loin d’un monde à la pensée manichéenne.
A l’image de la rose et de ses épines, le peuple afghan plante ses roses d’espoir entre les armes, la violence, les tragédies et malgré tout, la vie. La rose et ses épines n’est qu’un reflet d’un pays qui ne demande qu’à développer suffisamment son espace pour bourgeonner puis fleurir, loin de la destruction humaine.
Alice Plane, chercheuse et enseignante des négociations climatiques à l’université américaine Brown, a longtemps voyagé en Asie centrale. De l’Azerbaïdjan, à l’Afghanistan en passant par l’Ouzbékistan et l’Iran, Alice Plane est allée à la rencontre des femmes de ces pays pour comprendre et observer leur place au sein de la société. C’est en 2011, lorsqu’elle s’installe à Kaboul et devient conseillère politique auprès de l’ambassadeur européen, qu’elle observe : « En vérité, ils [les Afghans] portent les fleurs comme les armes – fièrement, en bandoulière, contre le cœur et dans la tête, comme chevillées à l’âme. »
Des Roses sous les Épines, Oriane Zérah, éditions Plurielles, 25 €.